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CHAPITRE VIII

« idéal » et « honorabilité »,
« la défense d’aimer »
.


Au Gewandhaus, cette saison-là, débutait un chef d'orchestre de vingt-six ans, élégant, fortuné, d'apparence fragile, toutefois étonnamment sûr de lui et qui, dès son arrivée, avait bouleversé les méthodes de cette ancienne institution. Chef d'une virtuosité prodigieuse, il avait en peu de temps rajeuni ses cadres, renouvelé ses programmes, exigé de tous ses musiciens un travail précis et consciencieux ; aussi le public lui vouait-il déjà un véritable culte. Cet Israélite pâle et charmant, compositeur de mérite et qu'on savait, malgré sa Jeunesse, avoir été lié d'amitié avec Gœthe s'appelait Félix Mendelssohn-Bartholdy. Wagner alla l'entendre et fut transporté de plaisir par la perfection du nouvel ensemble orchestral. Il remit à ce brillant collègue sa Symphonie en ut majeur, en le priant de la conserver dans ses cartons. Et Mendelssohn l’y conserva si bien, en effet, qu'elle n'en sortit jamais. Ni en ce temps-là, ni plus tard, jamais il n'y fit la moindre allusion. Aussi Wagner en conçût-il contre l'homme et contre sa ville natale un grief nouveau. Le théâtre avait refusé ses Fées ; le Gewandhaus semblait mépriser sa symphonie ; Frédéric Brockhaus lui faisait lourdement sentir sa dépendance ; il fallait donc, et au plus vite, repartir. D’autant plus vite qu'il s'était déjà soustrait et comptait bien se soustraire encore au catastrophique ennui du service militaire. Quoiqu’on ne fût pas trop regardant quant aux