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PREMIERS SYMPTÔMES — LES « FÉES »

C’est par ces mots que Wagner rend compte de son texte. Nous le reproduisons pour m'en pas perdre l'acent et parce que l’on y découvre déjà une philosophie de la volonté, ue exaltation du courage, et cette lutte entre l'homme et la divinité où le destin seul tranche en maître, qui vont devenir les fondements de son éthique. Dans ce poëme trop riche, un peu confus et en partie manqué, il y a pourtant des embryons de Tannhäuser, de Lohengrin et de la Téralogie. Il s’y trouve ce goût de vingt histoires en une, cette certitude que la vie est un enchevêtrement de lois, d'élans et d'impuissances qui font de toute action une tragédie compliqués de l’esprit, certitude dont cet étudiant en destinées humaines a toujours violemment vécu. Les Fées sont un pressentiment, aussi bien en musique qu'en poésie. La confiance absolue dans l'amour ; la musique et l'amour confondus en un seul et même génie ; les charmes, les philtres, les épreuves imposées aux amants, l'accession du couple élu au paradis, tout cela se retrouvera plus tard amplifié et approfondi dans ses drames. Mais nous avons déjà ici l'esquisse des thèmes, des gradations et développements disposés comme un jeu de cloches essentiel dans cette tour de sonorités qu'est l'âme wagnérienne.

Le 7 décembre de l'année 1839, l'œuvre est achevée. Le studiosus musicae met le nez à sa fenêtre avec satisfaction, après avoir paraphé sa partition d'un « Finis, Laudetur Deus, Richard Wagner ». Il regarde tomber la neige sur les toits de Würzbourg ». Il est midi. Il fait gai. Un carillon sonne à toute volée. Déjà des «signes ». Il écrit à Rosalie et, comme tous les vrais dramaturges, il distribue les rôles, désigne ses chanteurs. Il faudra au moins une Devrient pour le rôle principal ; la jeune Gebhardt, Eichberger, son frère Albert… Beaucoup de monde. Songez : cinq soprani, trois ténors principaux, un baryton, quatre basses, sans parler des personnages épisodiques ni des chœurs. Il voit grand, très grand. Toute une race. Tout un peuple. Toute une mythologie.

Ce jeune poëte à sa fenêtre couve cette singulière maladie des artistes qui les fait sans cesse mourir pour renaître, Pères de leurs œuvres, il les voient grandir et s'émanciper jusqu'au jour où cette cruelle postérité fera d'eux les fils des beaux monstres qu'ils ont engendrés. Le voilà tout gonflé déjà