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RICHARD WAGNER


surprises par hasard. Elles ont creusé dans la mémoire de Wagner un chemin où la pudeur, l’effroi, l’enthousiasme, le respect, se mêlent en une émotion quasi-mystique. Il croyait cette sœur-là, justement, la plus heureuse de toutes. Ses appointements d’actrice faisaient en bonne partie vivre sa famille. Elle habitait à part dans l’appartement maternel, d’une existence plus ménagée, en quelque sorte supérieure, divinisée, enveloppée d’une flatteuse admiration. Tous l’appelaient « petite âme », du nom que Geyer lui avait donné. Ses amis, choisis avec goût, semblaient eux-mêmes d’une caste plus raffinée. Ses jugements faisaient loi. Et c’est elle, pourtant, qu’il entendit pleurer. C’est à elle que Richard, aujourd’hui, dédie ses efforts ; c’est pour elle qu’il veut se relever de son passé futile. Elle devra même reconquérir pour tout son sexe l’autorité qu’avaient pensé lui faire perdre les badines comtesses. Aussi quand Rosalie retourne les Noces à son frère en déclarant ne pouvoir s’intéresser à cet ouvrage lugubre, sa décision est-elle prompte. Il déchire son manuscrit sans tristesse. Pour la première fois après une telle épreuve, son amour-propre n’est pas blessé. Pour la première fois le sentiment lui vient que seul celui qui sait détruire acquiert la force de créer.


Certes, savoir détruire est une force ; détruire des manuscrits manqués, refuser une vie trop unie. Que ferait-il à Leipzig au sein de sa famille et vivant à ses crochets ? Il serait plus honorable de gagner sa vie, plus judicieux de la construire ailleurs. Aussi se décide-t-il à partir pour longtemps, à se fier au hasard et à sa chance. Cependant on cherche à le retenir. Même sa sœur Rosalie commence à croire en l’avenir de ce frère fantasque et voudrait le fixer à Leipzig. Un de ses nouveaux amis, Henri Laube, le fondateur du groupe littéraire de la Jeune Europe, dont les débuts sont éclatants, se prononce en faveur du nouveau compositeur. Quelques semaines après la première audition de la Symphonie en ut majeur, donnée le 10 Janvier de 1833 au Gewandhaus, Laube fit à son sujet un article important, prédisant à Richard Wagner une grande carrière musicale. Allant même plus loin dans ce prernier élan de ferveur wagnérienne, Laube proposa au jeune homme un libretto, primitivement destiné à