Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
STUDIOSUS MUSICÆ


quel désarroi produisent en lui les paroles de sa mère après l’ouverture beethovenienne : « Cette musique est quand même autrement émouvante que ces bêtes de fugues ! »

Richard s’abandonnera désormais au démon qui l’habite. Toute sa force, il le sent, a besoin de se détendre, de briser ses liens. Il ne se trouvera lui-même qu’A condition de re­ tourner aux landes sauvages où il a perçu les libres harmo­ nies, les confuses beautés de son vrai maître, le vieux sourd de la Neuvième. Aussitôt il se met à une œuvre nouvelle : la Symphonie en ut majeur.


Au milieu de ces travaux, le drame politique de la Pologne jette aux quatre coins du ciel de violentes lueurs et allume dans l’âme de Richard Wagner, comme dans celle de Chopin, de secrets incendies. Mais ce que Chopin a reflété dans les Nocturnes de sa douleur, trouve dans Wagner un écho autrement volcanique. Après la prise de Varsovie, alors que commence l’exode de tout un peuple à travers les terres d’Allemagne, le jeune Wagner s’élance sur le passage de ces émigrants qui défilent dans leurs chariots ou montés sur leurs chevaux pour gagner la France. Il les coudoie, leur parle, les admire, se gonfle de fierté au contact de cette misère orgueilleuse.

Un soir, au Gewaudbaus, il aperçoit l’illustre comte Vincent Tyskiéwitsch, l’un des héros d’Ostrolenka, dont le visage tanné, l’attitude noble, la veste à brandebourgs et le béret de velours rouge le remplissent de bien-être. Et peu de temps après, Wagner a le suprême honneur de rencontrer cet exemplaire de son idéal nouveau chez son beau-frère Brockhaus. Tyskiéwitsch accorde sa sympathie à cet adolescent concentré et l’invite même à une fête que donnent les exilés polonais, le 3 mai, pour commémorer l’anniversaire de leur Constitution. Le banquet tourne assez vite à l’orgie. On chante, on s’enivre, et certes, Richard n’est pas le moins excité. Ils y eut des cris, des pleurs patriotiques, enfin un énorme tumulte qui se termina dans les jardins d’une auberge où des groupes langoureux peuplèrent les bosquets et les gazons.

Le spectacle enfin révélé de la vie, ces dieux inconnus, le goût que ressent tout être ardent autour de la vingtième année