seul qui lui reste et qu’il écrase encore dans sa main brûlante.
Il l’avance cependant, et bien qu’il n’ait ni bu ni mangé, son
émotion est si forte qu’il lui faut sortir en hâte pour vomir.
Lorsqu’il revient, il retrouve sa pièce doublée d’une autre,
puis quadruplée. Et dès cet instant, la veine tourne en sa faveur ;
il regagne ; il « laisse porter », sachant qu’à chaque
coup son avenir est tout entier dans la carte retournée. Enfin
le banquier s’arrête, épuisé, et Richard reprend la petite
fortune qui lui permet de rembourser sa mère et de payer
ses dettes. Il se sauve, rentre chez lui en escaladant le mur
et tombe dans un sommeil profond. « Dès ce jour, dit-il, la
tentation n’eut plus de prise sur moi. » Il est délivré et
s’éveille à un monde inconnu. Comme après toutes les grandes
crises où l’âme a été engagée à fond, il se produit une
remontée en surface, et la tête vieillie, l’œil clair, discernent
les buts nouveaux que leur propose la connaissance.
Il est temps d’apprendre autre chose que l’assouvissement de ses passions. Par une sorte de réaction intellectuelle, Wagner se donne cette fois avec effort, avec persévérance, à l’étude de l’harmonie et du contrepoint. Leipzig possédait l’un de ces consciencieux organistes-pédagogues qui, de tout temps, furent l’honneur d’une maîtrise. Cet homme, du nom de Théodore Weinlig, se trouvait être le « Cantor > de l’école Saint-Thomas. Il comprit aussitôt qu’en ce petit élève Wagner habitait une volonté originale, quoique indisciplinée. Loin de le rebuter par trop de théorie, il fallait donc fournir à son imagination une pâture pratique, le conduire doucement à se chercher lui-même des règles, à se construire une architecture dans les limites de quoi il trouverait un jour son style. Il reprit tout depuis le commencement, avançant pas à pas et d’exemple en exemple, s’appuyant sur Bach et Mozart, exigeant de Richard qu’il apprît à moduler les thèmes dont sa tête foisonnait, à les analyser, à les réduire, à les étendre, à les écrire en fugue ou en canon, sans jamais rien laisser passer de confus ou d’incorrect. Et ce qui avait longtemps semblé à Wagner simple jeu d’écriture ou pédantisme vain, s’éclaira de cette discrète et satisfaisante lumière qu’apporte le savoir aux plaisirs de l’esprit. Il apprit à connaître