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STUDIOSUS MUSICÆ


courir sus aux maisons de tolérance, où s’amusent les vieux messieurs.

C’est une galopade vers les ruelles où elles s’abritent en clignant de l’œil derrière leurs volets fermés. La première est prise d’assaut. On entre, on casse, on se jette sur les femmes, on frappe. Parmi les plus enragés est un petit étudiant en herbe, élève du collège Saint-Nicolas. Plus fou, plus déchaîné que les autres, semble-t-il, mais le spectacle de cette ruée a sur lui une « influence enivrante ». Le pauvre gîte saccagé de fond en comble, on repart en trombe vers un établissement semblable, à l’autre bout de la ville. De nouveau les poings s’abattent, les bouches mordent, les corps s’enchevêtrent. Et de nouveau le jeune collégien se distingue par des prouesses qui le font applaudir de ces chastes et affamés vengeurs de la morale publique. La nuit tombe sur cette journée où il n’y eut de sang versé que celui de ces jeunes gens vierges, une nuit fort noire, car tous les réverbères sont brisés et il y a éclipse totale de lune. Lorsque Richard ouvre les yeux, le lendemain, dans sa chambre beethovenienne, il aperçoit par terre le seul trophée qui lui reste de ses premières expériences d’homme et de révolutionnaire : un lambeau de rideau rouge.

Pendant les semaines suivantes, l’émeute se révéille et s’assoupit par crises. Les étudiants sont devenus les dieux tutélaires de Leipzig, forment des milices, occupent les corps de garde. Et comme il arrive, ces émeutiers bourgeois s’érigent, à l’instigation de leurs professeurs, défenseurs de l’ordre et de la propriété. Ils font la loi et vivent aux dépens de la municipalité, se répartissent en compagnies armées, reçoivent la visite de leurs camarades des universités de Halle, de Goettingue, d’Iéna, qui débarquent par charretées. Leur quartier général se trouve être chez Frédéric Brockhaus, l’éditeur, lequel a mis de la sorte à l’abri ses cent-vingt employés et les machines de son imprimerie. Honneur qui rejaillit sur Richard et le met tout de bon dans les meilleures grâces de ces messieurs. Mais il y a bientôt un revirement dans l’opinion publique. On s’aperçoit que ces étudiants ne sont souvent qu’aventuriers et pique-assiettes. Une garde communale est créée, de vrais soldats paraissent et la jeunesse réintègre les cafés.