pas toujours à sortir. Mais tout mystère a une vertu poétique.
Même dans la vie de cet oncle bizarre, qui s’est marié
depuis peu — et autour de la cinquantaine — mystère. Dans
son ouvrage sur Le Théâtre et le Public, mystère ; dans la
guerre que le savant bonhomme entreprend au nom de Tieck,
au nom de Gœthe, au nom d’un art dépouillé et authentique
contre tous les commerçants en succès faciles, mystère. « J’ai
heureusement des adversaires en bon nombre », a-t-il coutume
de dire à son neveu, « et autant qu’il m’est nécessaire
pour mon développement propre et ma maturité ». Richard
s’enthousiasme au contact de tout ce qu’il devine d’obstacles
utiles dans la vie des hommes supérieurs. C’est une consolation
à ses premiers déboires, une raison de plus pour s’acharner
sur ses manuscrits. Bien entendu, il a entièrement rayé
l’école Saint-Nicolas du nombre de ses occupations et depuis
six mois n’y met plus les pieds.
C’est à peine s’il a besoin d’amis. Ses deux beaux-frères lui suffisent, parce qu’ils lui en imposent par leur âge et leur situation. Louise, celle de ses sœurs qu’il admire pour sa beauté, a épousé un jeune éditeur important, Frédéric Brockhaus. Et Clara, la cantatrice, qui savoure à Leipzig de très vifs succès, s’est mariée avec le chanteur Wolfram. Mais comme il faut tout de même à Richard quelque compagnon à qui confier ses projets et ses folies, quelqu’un d’original, de compréhensif, enfin de rare, il jette son dévolu sur un grand escogriffe qu’il a remarqué dans les salles de concert. Une vraie apparition hoffmanesque : un corps très long surmonté d’une tête d’épingle, une manière singulière de marcher par saccades, encore plus singulière de parler aux musiciens de l’orchestre, puis d’écouter la musique en hochant la tête et en gonflant les joues. Évidemment un toqué, mais pourquoi ne serait-il pas un musicien génial ? Sans hésiter, Richard l’aborde, apprend qu’il se nomme Flachs, va chez lui et découvre avec bonheur un logis tout encombré de partitions et de manuscrits. Ce n’était pourtant qu’un naïf, auquel les marchands de musique vendaient leurs « pannes ». Ses collections renfermaient les œuvres de StaerkeL de Stanitz, de Steibelt et autres inconnas, car Flachs professait naturellement pour Mozart et Beethoven un particulier mépris. Toutefois, c’était un auditeur, et à qui l’écoute avec patience