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RICHARD WAGNER

que les leçons de religion ou de philosophie. Cependant, au moment même de communier, tandis que résonne l’orgue et que les catéchumènes défilent devant la table sainte, l’émotion qui gagne le petit rimeur est si forte qu’il ne tentera jamais plus de la revivre.

L’idée de quitter Dresde pour s’établir à Leipzig l’occupe.

À Dresde, il n’a que peu d’amis, peu de racines ; tandis que Leipzig, où sa mère s’est de nouveau transplantée pour suivre la carrière de Louise, est la ville de sa naissance, de sa famille, et s’honore en plus d’être ville universitaire. Et puis, Louise le charme, l’attire. C’est celle de ses sœurs qu’il connaît le moins parce qu’elle a toujours vécu au loin ; elle est belle ; elle a vingt-deux ans ; ce sera peut-être une amie… surtout lorsqu’il portera la casquette des étudiants. Le meilleur moyen d’atteindre Leipzig est donc de se faire renvoyer de son école de Dresde. Rien de plus simple. On vient précisément de lui infliger une punition qu’il juge injuste. Il y ajoutera un mensonge facile : il dira que sa famille le rappelle. Le stratagème réussit à merveille et c’est ainsi qu’à la Noël de l’année 1827, ce garçon de quinze ans aborde enfin la ville de ses rêves.

Il apporte dans sa valise le premier de ses manuscrits, Leubald et Adélaïde, la somme de ses connaissances et de ses expériences, croit-il. C’est plutôt la somme de ses lectures. Hamlet et le roi Lear en sont les personnages principaux, à peine déguisés. Ils monologuent sur la vie, l’amour, la vengeance, sous les masques légers d’Astolf et de Leubald. L’action n’est qu’une suite de crimes commis par le héros, lancé à la poursuite de cette Adélaïde qu’il finira par rejoindre et aimer dans son tombeau, comme cela se voit dans Roméo et Juliette.

La famille Wagner l’accabla de reproches lorsqu’elle eut découvert que toute cette dernière année d’études n’avait servi qu’à enfanter ce monstre. On mit incontinent le jeune Richard au collège Saint-Nicolas, où il lui fallut, après un examen prémiminaire, redescendre en troisième bien qu’il eût déjà fait la moitié de la seconde à Dresde. Cette humiliation lui fut extrêmement amère. C’était quitter Homère, Shakespeare, se remettre aux auteurs plats et faciles. Et qu’y a-t-il de plus douloureux pour l’amour-propre d’un enfant qu’une