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CHAPITRE VII

« LE MONDE ME DOIT CE DONT J’AI BESOIN. »


Avez-vous observé dans quelque port ce colon qui, après deux ou trois ans d’absence, revient des Tropiques ? Mal équilibré sur ses jambes, il monte la rue civilisée et, tout ahuri encore, contemple les vieilles maisons de son passé, s’arrête devant chaque vitrine, se retournee, sourit aux passantes qui déjà se moquent de sa visible innocence. Arraché à la solitude où il vécut longtemps sous le soleil de son obsession, il retrouve subitement le juste foyer de son regard, ses habitudes oubliées, le visage ennuyé de ceux qu’aucune curiosité n’emporta jamais vers les îles du désir. Semblable à ce revenant est l’homme en qui s’achèvent les péripéties d’une expérience amoureuse. Éveillé tout à l’heure de sa longue léthargie, il se demande où porter ses pas. Rien ne le tente plus et tout le surprend pourtant. La vie n’était donc pas si mauvaise puisque, à défaut de rêves, elle offre le vrai, ce fondement solide de la morale du monde. Alors il tord les bras lui aussi pour saisir le réel, en revendiquer sa part et oublier qu’il fut un poëte.

Wagner est revenu parmi les hommes. Il a abandonné Mathilde, Venise, Zurich, ces contrées repérées. L’oubli et le travail, tels sont ses buts nouveaux. Tout deviendra supportable à présent qu’il n’a plus de goût pour le bonheur. Que la vie intérieure soit l’art, l’artifice, l’hymne à ce qui