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CHAPITRE V

LA MORT D’ISOLDE


Fragments du Journal de Wagner
pour Mathilde Wesendonk.


3 septembre (1858)


« …Ce qui m’élève, ce qui reste durable en moi, c’est le bonheur d’être aimé de toi… Venise, Grand Canal, Piazzetta, place Saint-Marc, un monde éteint. Tout devient objectif comme une œuvre d’art. Je me suis installé sur le Grand Canal, dans un immense palais où je suis seul pour le mo­ment[1] . Grandes pièces spacieuses, où je me promène à ma guise. Ma demeure étant toujours d’une si haute importance pour le côté matériel et technique de mon travail, je mets tout mest soins à m’installer selon mes goûts. J’ai écrit immédiatement afin de me faire envoyer l’Érard. Il sonnera admirablement dans les hautes salles de mon palais. Le singulier silence du Canal me convient à merveille. Je ne quitte ma demeure que le soir à cinq heures, pour aller manger. Ensuite, promenade dans le jardin public ; brève station sur le place Saint-Marc, d’un effet si théâtral, parmi une foule qui me resle entièrement étrangère et distrait seulement mon imagination. Vers neuf heures je rentre en gondole, je trouve ma lampe allumée et je lis un peu avant de m’endormir… Cette solitude que je recherche uniquement — et qui est ici si

  1. Le Palais Giustiniani appartenait en 1858 à un Autrichien, qui y sous-louait des logements aux étrangers. Depuis 1876, il est la propriété du comte Brandolin.