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RICHARD WAGNER


regardons avec étonnement, et sans comprendre d’où ils sor­tent ? »

Le lendemain de la bataille de Bautzen, le samedi 22 mai de 1813, naquit le petit Richard Wagner dans la ville de Leipzig. C’était un incident infime. Il ne préoccupait même pas beaucoup les habitants du second étage de la maison du Lion blanc et rouge, sur le Brühl, où ce poupon venait d’entrer dans le monde au grondement du canon. Les Alliés occupaient la Saxe depuis quelques semaines et Leipzig, comme Dresde, était remplie de soldats prussiens et russes. Devenus, par les hasards de la guerre, vassaux de Napoléon, les bourgeois saxons demeuraient sur une prudente réserve envers leurs cousins slaves et leurs frères germains accourus, disait-on, pour la délivrance commune. Mais l’Empereur s’était tout de suite levé comme une tempête et sa foudre tombait aussitôt, ôtant à tous l’espoir de la libération entr’aperçue. Il triomphait à Lûtzen ; puis à Bautzen, la veille même du jour ou Mme Frédéric Wagner, épouse du secrétaire de la direction de police, donnait naissance à cet enfant malencontreux.

On ne fit guère fête au nouveau venu dans la famille de M. le greffier. Huit enfants, c’était une charge en ces temps d’occupation soldatesque et de difficultés ménagères. Qu’avait-on besoin de ce neuvième ! Et pour comble, les troupes refluaient dans la ville. Leurs Majestés Prussienne et Russe fuyaient devant le conquérant français, les théâtres fermaient leurs portes au moment où l’on annonçait une sai­son d’opéra italien et de comédie sous la direction du poète Hoffmann, l’auteur des Contes Fantastiques. Au lieu de voir le rideau se lever sur Figaro et la Vestale, le tambour battait la générale dans les rues, tandis qu’on fermait les barrières de la cité. Enfin, une série noire. Heureusement qu’un armistice fut bientôt signé. Les Wagner gagnèrent la campagne voisine où la mère put rétablir sa santé. Mais la paix n’était que provisoire, Napoléon ne goûtant pas beaucoup les vacances. Il fallut donc bientôt rentrer en ville, parce qu’à la direction de police M. le greffier était seul à parler français. On en profiterait pour baptiser le marmot. Et comme si cet enfant était marqué pour les batailles, le jour de son baptême coïncida avec la reprise des hostilités, l’Empereur ayant