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RICHARD WAGNER


premier essai. Richard songea aussitôt à elle pour créer le rôle d’Élisabeth. Mais le plus étonnant et instructif événement de la saison, fut la représentation de La Vestale sous la direction de Spontini en personne.

L’intendant Lüttichau et Wagner avaient invité à venir diriger son œuvre le vieux maître qui quittait Berlin après plusieurs années de mécomptes humiliants. Et le vieillard, dans une réponse « majestueuse » au jeune compositeur qui se disait son disciple, avait accepté avec une grandeur bienveillante. Puisque la célèbre Schroeder figurait parmi les interprètes, que le théâtre était encore battant neuf, les chœurs bien entraînés, l’orchestre devait assurément compter un nombre suffisant d’excellents instrumentistes, « le tout garni de douze bonnes contrebasses ». Ces sept petits mots effrayèrent tellement les organisateurs par ce qu’ils sous-entendaient d’exigences techniques, qu’on décida d’annuler l’invitation. Mais, au jour primitivement fixé, une voiture s’arrêta devant la porte de Wagner et le maître vénérable en descendit, sanglé dans une redingote bleue. Ce fut un bouleversement général à l’intendance, mais il fallut bien en passer par où le voulait ce vieillard irritable et puéril. On lui confia donc le soin de diriger en personne les répétitions, ce qui sembla toutefois le rendre fort soucieux. Il demanda à voir la baguette qui servait à Richard pour conduire l’orchestre, se troubla, déclara qu’il ne serait point capable de commander à ses troupes s’il ne tenait en main un bâton d’ébène dont les bouts fussent garnis de gros boutons d’ivoire. Le menuisier du théâtre fut chargé de confectionner au plus vite ce sceptre de tambour-major, sans lequel « le Grand d’Espagne » ne monterait point au pupitre. L’artisan acheva son œuvre en temps voulu et le travail put commencer le lendemain. Spontini débuta en regroupant l’orchestre à son idée, répartit le quatuor des instruments à cordes d’une manière égale sur tout l’ensemble, sépara les instruments de culvre et les grosses caisses pour les distribuer sur les deux ailes de l’orchestre, tandis que les instruments à vent formaient une chaîne entre les violons. Wagner profita de cette leçon pour adopter cette disposition, qu’il développera plus tard selon les mêmes principes et contrairement au vieil usage allemand qui voulait que les instru-