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PARIS SOUS LE ROI-CITOYEN


démoniaque rejoignant l’innocence dans l’ombre gothique, toute cette tragédie des contrastes qui met en perpétuel conflit à travers l’âme humaine la sérénité du ciel et les sensuels tourments de l’enfer. Enfin Walter scott, à son tour, avait écarté le rideau devant un univers de damoiselles et de pages, de ménestrels et d’amoureux, de pirates généreux et de sorcières, où le roman faussement historique allait puiser toute une symbolique oubliée et se retremper dans la poésie des mondes légendaires.

Si le jardin littéraire de 1839 se trouve en pleine poussée de sève printanière, sans qu’on puisse dire encore où éclateront ses fleurs les plus belles, il se fait tout à côté, dans les serres chaudes où se cultive la musique, des éclosions plus rapides. L’homme du livre a le temps pour lui, et son œuvre va recruter un à un la foule anonyme des lecteurs qui entreprendront en sa société — et parfois bien après sa mort — le voyage de la vie. Mais l’homme de la musique ne se suffit point de sympathies posthumes. La notoriété ne peut avoir pour lui ce caractère vague, cette approbation silencieuse. Il a besoin — pour créer comme pour vivre — de ces épousailles violentes qui se nouent entre le public et lui dans les salles de concert et les théâtres. C’est pourquoi il n’a pas la patience ni les résignations des poètes de la plume. Il est toujours sur le terrain, sans cesse à découvert car il n’a qu’un instant pour édifier ces grandioses et fragiles architectures montées des profondeurs de son être en jongleries mathématiques, avant que leurs délicates combinaisons ne retombent au néant.

Paris était alors le premier centre musical du monde. Depuis 1828, un an après la mort de Beethoven, le Conservatoire avait entrepris d’étudier et de donner à l’orchestre toutes ses symphonies. L’Académie royale de musique (Grand Opéra), dotée d’une subvention annuelle de 700.000 francs, était le théâtre lyrique le plus brillant d’Europe. L’Opéra-Comique, malgré certains succès, comme Zampa, ou la Fiancée, d’Auber, céda la place au Théâtre Italien, reudez-vous durant trente ans de toutes les élégances, et se fixa en 1841 à la salle Ventadour. Auber, Adam, Halévy sont les grands noms français qui tiennent l’affiche ; auteurs d’une musique honnête, optimiste, doucereuse, sans ambition démesurée et