Et le critique du Constitutionnel écrivait dans son journal,
quinze jours après l’arrivée de Wagner à Paris : « La littérature,
ébranlée dans son économie entière, n’a pu recouvrer
encore un état normal ; elle s’en va de langueur. » Pourquoi
en cette même année, Stendhal envoyait de son consulat de
Civita-Vecchia à son imprimeur les épreuves corrigées de
La Chartreuse de Parme. Balzac avait publié une bonne partie
de sa Comédie Humaine, mais on ne le prenait guère au
sérieux. « Le talent de l’auteur de Sarrasine », écrivait le
critique Gustave Planche, « sent’l’opium, le punch et le
café. » Victor Hugo avait fait scandale avec son Hernani,
mais c’est au théâtre surtout, et dans les « cénacles », qu’il
avait son public. En 1840, il cherchait encore sa voie, ses
voix, et il était à la veille d’un silence de treize ans. Musset
venait de donner ses Nuits, qui n’avaient leurs fervents que
chez les jeunes. Vigny, obscur et énigmatique gentilhomme
sans fortune, se trouvait jouir de quelque réputation pour sa
vie romancée de Cinq-Mars et pour Chatterton, un drame.
Dumas intéressait surtout par ses aventures, ses duels, et les
rixes littéraires auxquelles il se ? trouvait mêlé. Mais les
vrais maîtres étaient Villemain, Barante, Fauriel, Pichot, les
poètes Casimir Delavigne et Népomucène Lemercier, les
frères Deschamps. Jules Lefèvre, Viennet, Mi11evoy, et les
romanciers inépuisables : Frédéric Soulié, Eugène Süe, Paul
de Kock, Janini, Roger de Beauvoir, Legouvé. Le feuilletonniste
du Constitutionnel, qui osait consacrer une étude au
« génie sans sexe » de George Sand, n’avait donc pas tort de
prendre des précautions vis-à-vis de son public, puisque en
face du passé somptueusement relié dans toute bonne bibliothèque,
le présent n’offrait que ses brochages légers, ses in-12
de cabinet de lecture et un vénéneux bouquet d’auteurs que
le peuple de Paris tenait pour de simples malades, des révolutionnaires
ou des fous. Mais où étaient les gloires solides,
durables ? Qui aurait pu rivaliser avec la popularité de
Béranger ? Avec la célébrité retentissante de l’Anglais Walter
Scott ? Et par delà ceux-ci, et le féminin Lamartine, et Byron
le monstre adorable, rayonnait sur les cafés de Paris comme
dans les Tavernes d’Allemagne le poëte de toute fantaisie,
le metteur en scène de tout drame romantique : Shakespeare.
De Shakespeare était venu le goût du clair-obscur, du
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RICHARD WAGNER