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PARIS SOUS LE ROI-CITOYEN


humaines, dlsait-il, ne s’accommodera de rien et bouleversera tout. The world shall be unkinged. » Mot shakespearien.

Comme un quart de siècle auparavant, lors de la chute de Napoléon et de la naissance de Richard Wagner, les prophètes des générations nouvelles cherchaient à découvrir l’accord qui dominerait l’orchestration confuse des émeutes politiques, littéraires et musicales de 1830. Le romantisme avait inventé déjà tous ses « désordres », qu’on nommait des « idéals ». Et l’on s’évertuait à ériger en doctrine ce qui n’était que santé, exubérance. Cependant, la jeunesse ayant toujours bien plus de gravité dans l’esprit que l’âge mûr ou la vieillesse, le conflit était sans cesse repris entre les poëtes et les réformateurs d’unc part, avides de lutte et de création ; les « arrivés » et jouisseurs de l’autre, qui ne cherchaient qu’à profiter en paix de la convalescence qu’un roi débonnaire assurait à la fortune publique. Plainte, Nostalgie, Solitude, Désillusion, Pureté, Humanité, ces abstractions à majuscules trouvaient d’un côté de la barricade intellectuelle leurs chantres encore novices, mais turbulents, tandis qu’en face l’armée bourgeoise cherchait à renouer par-dessus cinquante années de guerres et de ruines avec l’âge d’or de Louis-le-Bien-AImé. L’Individu se dressait contre la Société. À peine adolescent en 1815, le xixe siècle perçait maintenant le vieil hiver de l’Europe monarchique comme un nouveau printemps du monde. Et une haine existait entre ces deux saisons dont l’une ne pouvait s’épanouir qu’en tuant l’autre. Les « mûrs » gardaient tout l’appétit que donnent vingt ans de sacrifices et d’héroïsme. Ils réclamaient le prix de cent victoires. Avant de mourir dans leurs lits d’acajou, ils entendaient rattraper leur jeunesse entraînée à la gloire par les grandioses bulletins d’un Empereur qui ne leur avait jamais laissé nulle part le temps de la savourer. Ils se défendaient donc avec bec et ongles contre la poussée des jeunes « génies » à barbes frisottées, aux fracs de nuance pâle, aux regards « démoniaques ».

Le vieux Chateaubriand faisait encore entendre ses orgues mélodieuses, mais elles n’étaient plus écoutées avec ferveur que par un petit groupe de dames presque âgées. Il lui fallait faire compliment à contre-cœur à l’une des héroïnes du jour, George Sand, de ses romans « poésie de la matière ».