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POUR LES FEMMES

minorité au moment même où elle assume la charge de diriger une maison et de fonder un foyer.

Louise Van den Plas.

(Extrait du Féminisme Chrétien, de Belgique).

Nos servantes




Les servantes sont en France 775 000. Comptons parmi celles-ci 200 000 mineurs de moins de 21 ans, elles représentent une forte part du contingent villageois que d’illusoires espérances amènent vers les grandes villes. Et pourtant, les maîtresses de maison se plaignent de n’avoir pas de domestiques. C’est que les petites bonnes ne restent pas toujours des petites bonnes

Il y a donc un double programme à résoudre : assurer de bonnes servantes aux maîtresses de maison, et donner aux servantes les garanties d’un travail sans surmenage et les sécurités de moralité et d’hygiène que réclament spécialement leur jeunesse et leur condition de femmes.

Voici les données premières d’un arrangement qu’une œuvre ou une association pourrait prendre comme base.

La chambre de la servante sera toujours dans l’appartement des maîtres, elle aura un cube d’air suffisant, et sera munie des objets de toilette nécessaires. Il sera accordé à la servante neuf heures de repos sur vingt-quatre, et une sortie par quinzaine. Aucun travail excessif ne leur sera imposé et les réprimandes qui leur seront adressées ne devront rien contenir de blessant pour la dignité d’une créature humaine.

Enfin, en cas de renvoi, avis sera toujours donné à la famille de la servante ou à l’association ou bien au syndicat dont elle fait partie.

(Extrait de La Revue).

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SOUS UN MIMOSA




Rêve dans un désert



Comme je voyageais à travers une plaine d’Afrique, la chaleur était accablante. Je conduisis mon cheval sous un mimosa, je lui enlevai sa selle, et je le laissai pâturer au milieu des broussailles desséchées.

La terre brune s’étendait à droite et à gauche. Je m’assis sous l’arbre, car le soleil tapait dru, et tout au long de l’horizon on sentait l’air palpiter. Au bout d’un moment, un engourdissement me prit, j’appuyai ma tête lourde contre la selle de mon cheval et je m’endormis. Dans mon sommeil j’eus un rêve étrange. Je crus être sur les confins d’une plaine aride que le sable enveloppait de toutes parts. Et je crus voir deux grandes créatures pareilles aux bêtes de somme du désert ; l’une d’elles, le cou tendu, était couchée sur le sable, et l’autre se tenait debout auprès. Je regardais avec curiosité celle qui était à terre, car elle avait un lourd fardeau sur son dos, le sable s’amoncelait autour d’elle, et semblait s’être accumulé là depuis des siècles.

Je la regardai avec intérêt.

Et quelqu’un qui veillait là se trouva près de moi. Je lui demandai : « Quelle est cette grande créature, qui est étendue là sur le sable ? »

Il répondit : « C’est la femme ; celle qui porte les hommes dans son sein ».

Je lui dis : « Pourquoi reste-t-elle là immobile, avec le sable accumulé autour d’elle ? »

Il répondit : « Écoute ; je vais te le dire. D’âge en âge, elle est restée ici et le vent a soufflé sur elle. Le plus âgé d’entre les hommes ne l’a jamais vue bouger : le plus vieux livre rapporte qu’autrefois elle était étendue, là, comme elle l’est aujourd’hui, tout entourée de sable. Mais écoute : plus vieilles que les plus vieux livres, plus vieilles que les plus anciennes histoires demeurées dans la mémoire des hommes ; sur les rocs du langage, sur le dur argile des anciennes coutumes tombées maintenant en poussière, sont les empreintes de ses pas. Tu les y reconnaîtra mêlées à celles de l’être qui se tient auprès d’elle. Ne sais-tu pas que celle qui est aujourd’hui couchée là a autrefois erré en liberté sur les rochers avec lui ? »

Je dis : « Pourquoi est-elle à présent couchée là ? »

Il répondit : « Il m’a été révélé, il y a bien des années, que l’âge de la Domination des Forces musculaires la trouva, et comme elle se baissait pour donner la nourriture à ses petits, il plaça sur son large dos le fardeau de la Soumission et il le fixa avec la large ceinture de l’Inévitable Nécessité. Alors, elle regarda la terre et le ciel et comprit qu’il n’y avait plus aucun espoir pour elle ; et elle s’étendit sur le sable avec le fardeau qu’elle ne pouvait plus détacher. Depuis ce temps-là, elle est demeurée ici. Les années sont venues, les années ont passé, mais la ceinture de l’Inévitable Nécessité n’a pas été coupée.

Alors, je la regardai et je vis dans ses yeux la patience terrible des siècles ; la terre était humide de ses pleurs, et le souffle de ses narines faisait tourbillonner le sable.

Je dis : « A-t-elle jamais essayé de bouger ? »

Il dit : « Quelquefois, un membre frissonne. Mais elle est sage ; elle sait qu’elle ne peut se lever avec le fardeau sur elle ».

Je dis : « Pourquoi celui qui se tient à ses côtés ne peut-il la laisser et partir ? »

Il dit : « Il ne peut pas. Regarde. »

Et je vis une large main passant sur la terre, allant de l’un à l’autre, et qui les reliait entre eux.

Il dit : « Tandis qu’elle est étendue là, lui doit rester debout et scruter le désert ».

Je dis : « Sait-il pourquoi il ne peut bouger ? »

Il répondit : « Non ».

Et j’entendis un son comme un craquement ; je regardai et je vis la ceinture qui tenait le fardeau brisée en deux, et le fardeau roula à terre.

Je dis : « Qu’est ceci ? »

Il dit « L’âge de la force musculaire est mort. L’âge de la Force nerveuse l’a tué avec le couteau qu’il tient dans sa main ; silencieux et invincible, il a rampé jusqu’à la femme, et, avec le couteau de l’invention mécanique, il a coupé le lien qui tenait le fardeau sur son dos. L’Inévitable Nécessité est brisée. À présent elle pourrait se lever. »

Je vis qu’elle était encore là, immobile, sur le sable, les yeux ouverts et le cou tendu. Elle semblait chercher aux confins du désert quelque chose qui ne venait pas.

Je me demandai si elle était endormie on éveillée. Comme je la regardais son corps frissonna et il lui vint une lueur dans le regard, comme lorsqu’un arc-en-ciel entre dans une chambre obscure.

Je dis « Qu’est-ce ? »

Il murmura : « Chut ! Cette pensée lui est venue : puis-je me lever ? »

Je regardai. Elle leva la tête, et je vis le creux où son cou avait reposé depuis si longtemps. Elle regarda la terre, et elle regarda le ciel, et elle regarda celui qui était auprès d’elle, mais il fixait au loin le désert.

Et je vis son corps frémir. Elle pressa ses deux genoux contre la terre, et ses veines saillirent.

Je criai : « Elle va se lever ! »

Mais ses côtes seules se soulevèrent, et elle resta là où elle était.

Cependant sa tête demeurait dressée. Elle ne la rabaissa pas. Celui qui était auprès de moi me dit :

« Elle est très faible. Vois, ses jambes ont, depuis tant d’années, été ployées sous elle ».

Je vis la forme humaine se débattre et les gouttes de sueur perler à son front.

Je dis : « Sûrement celui qui se tient auprès d’elle va l’aider. »

Celui qui était auprès de moi me répondit : « Il ne peut pas l’aider. Il faut qu’elle s’aide elle-même ; qu’elle lutte jusqu’à ce qu’elle devienne forte ».

Je m’écriai : « Du moins qu’il ne l’en empêche pas ! Regarde, il s’éloigne d’elle et resserre le lien qui les unit, et il l’entraîne avec lui ».

Il répondit : « Il ne comprend pas. En bougeant, elle tire sur le lien qui les unit, cela lui fait mal et il s’éloigne d’elle. Le jour viendra où il comprendra et saura ce qu’elle fait. Qu’elle chancelle seulement sur ses genoux, et il restera près d’elle et la regardera avec sympathie ».

Elle allongea le cou, et les gouttes de sueur tombèrent. La femme se souleva à un pouce de la terre, puis retomba en arrière.

Je m’écriai : « Oh ! elle est trop faible ! Elle ne peut pas marcher. Les longues années lui ont pris toute sa force. Pourra-t-elle jamais se mouvoir ? »

Et il me répondit : « Vois la lumière dans ses yeux ! »

Lentement, et en chancelant, la femme se dressa sur ses genoux.

Olive Schreiner.

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