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POUR LES FEMMES


Dans le Calvados, département d’eau-de-vie déjà nommé, on a vu, en 15 ans, la morbi-natalité et la mortalité infantile, augmenter de 28 %.

Le docteur Brunon, de Rouen, a suivi une femme de Quévilly, de souche alcoolique, qui épousa un alcoolique, et eut 22 grossesses, ainsi terminées : 5 avortements, 11 morts-nés, 6 enfants malingres.

Le même observa une fille saine de 19 ans qui eut, avant mariage, un bel enfant. Elle épousa ensuite un alcoolique qui lui donna 5 enfants : 1 mort-né, 1 rachitique, 1 idiot, 1 infirme, 1 normal.

Le docteur Demme, de Stuttgard, pendant 12 ans, a suivi 10 familles sobres et 10 familles intempérantes.

Voici le résumé de ses constatations :

Familles sobres : 5 enfants morts dans la première semaine, 50 enfants sains.

Familles intempérantes : 25 enfants morts dans la première semaine, 10 enfants sains.

À la deuxième génération, il remarquait que tous les descendants des buveurs étaient ivrognes, idiots ou arriérés.

Après un tel défilé de misères physiques, intellectuelles et morales, il n’est pas nécessaire de s’étendre longuement sur la conclusion : elle éclate d’elle-même. Il faut combattre l’alcoolisme. Et puisque les municipalités, heureusement, peuvent limiter le nombre des débits, il faut au plus tôt faire cette application.

(Paru sous la signature d’Henri Meyer dans le journal La Liberté, de Levallois.)
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TRIBUNE DES ANIMAUX




Nous consacrerons, dans chaque numéro, quelques lignes à nos frères inférieurs, que nous ne voudrions plus voir persécutés et maltraités. Il y a, là aussi, pour les femmes, une œuvre de justice et de charité à entreprendre.

Voici une jolie page de M. Octave Mirbeau, qui a été reproduite par le Bulletin de la Société protectrice des animaux.

Devoirs envers les animaux

À vivre avec les animaux, à les observer journellement, à noter leur volonté, l’individualisme de leurs calculs, de leurs passions et de leurs fantaisies, comment ne sommes-nous pas épouvantés de notre cruauté envers eux ? Se peut-il que les mœurs des fourmis et des abeilles, ces merveilleux organismes que sont la taupe, l’araignée, le tisserand cape de more, ne nous fassent pas réfléchir davantage aux droits barbares que nous nous arrogeons sur leur vie ? Tous les animaux ont des préférences, c’est-à-dire le jugement critique qui pèse le pour et le contre, le pire et le mieux, leur fait choisir, avec infiniment plus de sagesse et de précision que nous, entre les êtres et les choses, la chose ou l’être qui s’adapte le mieux aux exigences de leurs besoins physiques et de leurs qualités morales. En les torturant, en les massacrant, comme nous faisons tous, pour notre nourriture, pour notre parure, pour notre plaisir, et pour notre science si incertaine, au lieu de les associer à nos efforts, savons-nous bien ce que nous détruisons, en eux, de vie complémentaire de la nôtre, par bien des côtés supérieure à la nôtre, en tous cas aussi respectable que la nôtre ? Et jamais un seul instant, nous ne songeons que c’est de l’intelligence, de la sensibilité, de la liberté que nous tuons en les tuant.

Fait indéniable, au bord duquel nous devrions nous arrêter, la sueur au front, le cœur serré par l’angoisse. Les chiens, qui ne savent rien, comprennent ce que nous disons, et nous qui savons tout, nous ne sommes pas encore parvenus à comprendre ce qu’ils disent. Non seulement, ils comprennent, mais ils parlent. Ils parlent entre eux ; ils parlent aux autres bêtes : ils nous parlent. Et, tandis que, malgré tant d’expériences et tant de travaux, nous n’avons jamais pu rien déchiffrer de leur langage, eux, spontanément, ils ont, du moins en ce qui les intéresse, tout déchiffré du nôtre. Sans jamais les avoir appris, ils parlent le français, l’anglais, l’allemand, le russe, et le groenlandais, et l’indoustani, le télégut, le bas-breton et bas-normand, tous les patois et tous les argots.

Quand je disais négligemment, sans me retourner vers lui : « Dingo ne se promènera pas avec moi aujourd’hui… Dingo restera à la maison », il protestait vivement d’abord, se plaignait ensuite, pleurait quelques instants et il se couchait, la tête attristée, sur le tapis. Si, au contraire, sur le même ton neutre, je disais : « Dingo se promènera aujourd’hui avec moi », alors il se levait d’un bond, en poussant des cris de joie. Il me tirait par ma manche, par les pans de mon vêtement, m’entraînait vers la porte. Et ses cris joyeux voulaient dire :

— Qu’est-ce que tu fais ? Mais dépêche-toi donc !… Nous ne partons pas pour la Chine. Allons, voyons, viens… mais viens donc !

J’avais inventé un petit jeu qui l’amusait beaucoup et où il se montrait fort adroit. Je faisais rebondir des balles en caoutchouc, presque jusqu’au plafond, et, à la retombée, il les recevait dans sa gueule. Il avait huit balles rangées dans une corbeille de vannier, sur une petite table du vestibule.

— Va me chercher tes balles… commandais-je au moment où il y pensait le moins.

Lestement, Dingo partait et venait me les remettre, une à une, dans la main. S’il en manquait, il n’avait de cesse qu’il ne les eût retrouvées dans le coin d’une pièce ou sous un meuble. Non seulement Dingo parlait, mais il calculait, sans que je l’eusse dressé au calcul.

Octave Mirbeau.

(Extrait du feuilleton publié par le Journal.)

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Les salaires de famine




À Glasgow, la plus tristement instructive des expositions vient de s’ouvrir : The Sweeted Industries Exhibition (l’Exposition des industries du système de la sueur). L’on y voit des rangs, et des rangs de garniture et d’ornements faits par des femmes pour des prix infimes. Une douzaine de chemises d’homme, qui doit être confectionnée en 14 heures 1/2, et pour laquelle les travailleurs fournissent leur fil, reçoivent un schilling six pence, sont vendues au détail environ 5 shillings chaque.

On acquiert la preuve que dans nombre d’industries le salaire de femme tombe au-dessous d’un penny par heure. La plupart des objets exposés ont été manufacturés à un prix oscillant entre 1 et 2 pence.

Au Japon, si rapidement européanisé et industrialisé, l’organisation du travail est à faire toute entière. La création d’un ministère du Travail s’impose. Les gains des hommes et des femmes demeurant très bas, sans rapport avec la croissante cherté de la vie.

On peut donner comme exemple typique de ces salaires misérables, les gages mensuels des bonnes de restaurant à Tokio, qui se montent de 1 yen 50 à 3 yen (3 fr. 50 à 7 fr. 50), mensuellement pour 15 et 16 heures de travail par jour. Les fortunées servantes qui arrivent aux 3 yen pour leur mois sont extrêmement rares. Les malheureuses travaillent avec l’espoir de compenser par des pourboires ces gains dérisoires, mais leurs espérances sont vaines : la plupart des consommateurs ne leur laissent que quelques centimes. La détresse de ces pauvres filles est affreuse.

À Belfast, un comité d’enquête a recueilli les preuves des salaires suivants : un demi-penny par heure pour le travail de la dentelle, et un demi-penny et un quart par heure pour le travail de la broderie. Une seule maison paie cinq et six pence l’heure pour la broderie, et 12 maisons sur 125 ne paient qu’un penny. Le comité d’enquête a l’application de la loi sur le travail pour mettre un terme à ce douloureux scandale[1].

L. Chevalier.

RAPPORT MORAL
du Congrès Annuel de l’Union Française pour le Suffrage des Femmes




Rédaction : 53, rue Scheffer, PARIS


L’année 1912 marquera une étape importante pour l’Union puisque, en raison même du développement de notre action, nous avons pu nous organiser en Fédération et devenir ainsi réellement la Société suffragiste nationale française.

Nous pouvons nous féliciter d’avoir réussi à donner à l’Union une constitution qui favorise l’extension des Groupes et des Sections et qui leur donne la plus grande liberté d’action sans que, pourtant, l’unité de notre travail en soit diminuée. Bien au contraire, jamais nous ne nous sommes sentis plus unis et plus conscients de la nécessité de ce grand travail en commun. Pour toute action profonde et durable, il faut une discipline volontaire aussi sérieuse, aussi absolue que si elle était obligatoire ; c’était là, peut-être, la partie la plus délicate de notre tâche, mais nos Groupes nous l’ont facilités en nous apportant, pour l’élaboration des statuts, leur concours le plus éclairé et le plus désintéressé.

À Paris, comme dans les départements, nous avons fait un travail de propagande efficace par les affiches, par les réunions et, surtout, par les démarches auprès des candidats. Non seulement la presse locale a été amenée à faire connaître notre cause, mais, déjà, des résultats précis ont été réalisés. Les conseillers qui s’étaient déclarés en notre faveur ont été sollicités d’agir dans le sens de leurs engagements, et plusieurs vœux suffragistes ont été votés par des conseils généraux, des conseils d’arrondissement et des conseils municipaux.

Voici du reste quelles sont, jusqu’à ce jour, les assemblées qui ont émis des motions favorables au suffrage municipal des femmes :

1o Conseils municipaux. — Brest, Le Havre, Lescar, Lyon, Morlaix, Puteaux, Trélazé, Oulins, Villeurbanne, Pau, Oloron Lambezellec, Saint-Maur, Saint-Brieuc.

2o Conseils d’arrondissement. — Le Havre, Lyon.

3o Conseils généraux. — Finistère, Gers, Rhône, Seine, Seine-Inférieure, Somme.

Nos autres Groupes, encouragés par ces résultats, continuent à travailler dans ce sens, et nous comptons, cette année, sur de nouvelles victoires. Les élections de 1912 nous auront permis de prendre contact avec la vie politique aussi, en 1914, serons-nous toutes préparées à agir si le projet Dussaussoy-Buisson n’a pas été voté d’ici là par la Chambre et le Sénat. Nos efforts seront moins bruyants et moins provoquants que ceux des suffragettes anglaises, mais nous avons la conviction que, dans notre pays, ce serait un désastre que de les imiter.

Au point de vue de notre organisation, voici, comparativement, nos progrès depuis l’an dernier :

En mars 1912, l’Union comptait :

16 Groupes, 5 Sections, 6 Sociétés affiliées. Environ 6 000 membres.

En mars 1913, l’Union compte :

48 Groupes, 15 Sections, 8 Sociétés affiliées. Environ 9 000 membres.

Voici la liste des nouveaux Groupes : Hautes-Alpes, Annonay, Tournon, Privas, Aubenas, Belfort, Bouches-du-Rhône, Calvados, Charente, Cher, Drôme, Thouars, Franche-Comté, Quimper, Loiret, Brest, Ille-et-Vilaine, Anjou, Saumurois, Aube, Marne, Meurthe-et-Moselle, Nord, Oise, Orne, Orthez, Var, Vaucluse, Paris, Vincennes, Versailles, Charenton.

Nouvelles Sections : Oloron (Basses-Pyrénées), Cette, Marsaillas, Ganges (Hérault), Roanne, Firminy (Loire), Longuyon (Meurthe-et-Moselle), Alais (Gard), Desvres (Pas-de-Calais), Villefranche (Rhône), Sceaux (Seine).

Deux nouvelles Sociétés affiliées : Association Féminine du Mans, Société Féministe de la Somme.

Groupes en préparation : Manche, Seine-et-Marne, Côtes-du-Nord, Sceaux.

De nombreux délégués des Groupes préparent aussi des Sections, notamment dans le Nord, dans la Seine-et-Oise, dans la Seine.

Dans plusieurs départements, nous aurions suffisamment d’adhérents pour former des Groupes, si nous avions les concours nécessaires pour l’organisation ; mais il faut bien avouer que, si nous trouvons beaucoup de bonnes volontés, nous ne rencontrons pas encore assez de complets dévouements, et c’est pourtant de vraies activités qu’il nous faut pour mener à bien la tâche si lourde, mais si belle, que nous avons entreprise. Je voudrais citer ici cette phrase touchante d’une de nos plus récentes déléguées : « Je n’ai jamais été si heureuse que depuis que je travaille à faire notre Groupe ». Il ne s’agit pas là d’une boutade de jeune fille enthousiaste, mais de la pensée d’une femme réfléchie, mère de sept enfants, qui s’est mise si activement à l’œuvre, que son Groupe sera formé avant notre Congrès.

Ces quelques indications concernant notre travail sont la meilleure preuve de vitalité du développement de l’Union. Si nos Groupes prospèrent et se multiplient, c’est que nous ne nous bornons pas uniquement à réclamer le suffrage. Nous estimons que toute demande de droits implique des devoirs, et nous nous efforçons, à l’Union, de nous rendre dignes de notre future tâche d’électrices. Le suffrage n’est pas un but, mais un moyen ; il nous faut donc étudier toutes les questions dont nous aurons à nous occuper sous notre responsabilité quand nous obtiendrons le suffrage. Nous devons connaître non seulement les revendications féministes, mais les questions qui touchent à l’hygiène sociale, à l’économie politique, à la moralité publique, etc.

Ce qui nous différencie peut-être des autres sociétés féministes, c’est que nous estimons qu’il nous faut le suffrage d’abord et avant tout, car nous voulons participer aux lois qui nous concernent, soit par nous-mêmes, soit par nos représentants. Actuellement, personne ne peut réellement parler au nom des femmes ; et, quand nous demandons des réformes, ce sont des lois de charité, mais non des lois de justice, que nous obtenons.

L’opinion publique commence à s’en rendre compte et, en nous voyant à l’œuvre, elle a compris aussi que nous savions rester femmes, tout en étant féministes. Comme nous le disons dans notre rapport envoyé à Budapest, c’est avec joie que nous sentons la sympathie qui s’attache à nos idées dès qu’on en a saisi l’évidence et le bons sens ; nous ne représentons plus alors des révoltées, mais des femmes d’avant-garde, conscientes de la double mission qui nous revient : apprendre et comprendre nous-mêmes plus fortement, tout en traçant la route aux autres femmes, à celles qui ne savent pas encore où sont leur devoir et leur dignité.

C’est dans cette voie que nous continuerons à marcher, avec votre concours à tous et à toutes.

C.-L. Brunschig,
Secrétaire-générale.
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OUVRAGES DE PROPAGANDE ET DE DOCTRINE




On peut se procurer tous ces ouvrages aux bureaux de La Française, 59, rue de Provence, Paris.




Problème et préjugé des Sexes, par Jean Finot. Étude unique et magistrale la question de l’égalité des sexes (5 fr. franco, à La Française).




Le Couple futur, par Jules Bois (3 fr. 50). Belle étude morale des conditions du bonheur dans le mariage.




Le Catéchisme féministe, par J.-J. Renaud. Exposé par demandes et réponses des points les plus controversés de la doctrine. (1 fr. 50 pris à La Française ; 2 fr. 50 en librairie).




Le Féminisme, par Mme Avril de Sainte-Croix, historique abrégé du mouvement féministe. (2 fr. 50).




Le Droit des Femmes, par Marguerite Martin. Argumentation très ferme et remarquablement intelligente et mesurée sur toute la question féminine. (2 fr.).


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Le gérant : E. ALTIAR

Imprimerie spéciale du journal
Pour les Femmes
  1. Extraits de la Revue, Dr J. Finot.