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POUR LES FEMMES

avec les intérêts supérieurs de la société ; et cela sans doute parce que c’est elle qui pâtit le plus de l’appauvrissement ou de la démoralisation de la société.

La femme a intérêt à ce que la population soit sobre, car c’est elle qui souffre le plus des conséquences de l’alcoolisme.

Elle a intérêt à ce que l’ordre règne dans les rues et dans les finances publiques, car c’est elle qui est le plus directement atteinte par le poids des impôts, par la cherté des vivres, par tout pillage et tout désordre dans la cité ou le pays.

Nous n’aurons point de peine à lui démontrer cela ; car toutes ces choses, elle les sent d’instinct et nos paroles trouveront vite un écho dans sa pensée et dans son cœur.

Nous pourrions ajouter que dans la politique, les femmes ont pour mission de compléter l’œuvre des hommes en leur faisant remarquer toutes les lacunes de leur législation, et en les invitant à les combler sans trop de lenteur.

La femme doit songer avant tout aux intérêts communs, mais il ne lui est pas interdit de songer également aux siens propres. Si les femmes étaient électrices depuis 1830, croyez-vous qu’elles auraient dû attendre soixante-quinze ans pour obtenir une loi (encore assez imparfaite) sur la recherche de la paternité ? Croyez-vous qu’on aurait osé leur dénier si longtemps le droit d’être tutrices, d’être témoins aux actes civils ? Croyez-vous qu’elles subiraient encore aujourd’hui le régime matrimonial inique qu’est la communauté légale du Code Napoléon ?

Le rôle de la femme dans la politique doit être de protéger l’enfant, les pauvres, les faibles, de consolider la famille, d’améliorer la condition féminine, de lutter contre la débauche, contre l’alcoolisme, contre le jeu, contre tout ce qui déprave la pauvre humanité ; enfin, de défendre la liberté scolaire et la liberté religieuse.

Il y a des centaines de mille femmes hors de leur foyer sur le marché du travail. Le manque d’apprentissage les rejetant en foule dans les travaux inférieurs, elles sont ballottées dans la vie comme un bouchon de liège sur les flots. Partout payées moins que les hommes pour un travail égal, partout infériorisées, elles sont complètement à la merci de forces sur lesquelles elles n’ont aucun contrôle.

« …Écrasées par les inégalités qui leur compliquent la lutte pour la vie, des milliers d’entre elles sont entraînées dans le ruisseau.

« …Nous devons peut-être jeter un voile sur certaines femmes qui, par une nature vicieuse, ont volontairement choisi cette vie abjecte ; mais les enquêtes ont prouvé qu’au moins les deux tiers des prostituées ont été contraintes, par les conditions économiques, à tenter cet effort désespéré pour vivre. À celles-ci, nous n’avons pas le droit de tourner le dos. Leurs griefs sont nos griefs. Leur existence est une partie de notre problème. Elles ont été créées ce qu’elles sont par les injustices mêmes contre lesquelles nous protestons.

« C’est le cri de détresse de ces femmes perdues qui sont les victimes de siècle d’oppression ; c’est la cause sans défenseurs de milliers de femmes aujourd’hui sur le bord du même précipice ; c’est le muet appel de toute l’armée des femmes de tous les pays qui, dans les magasins et les usines demandent d’équitables conditions d’existence et de travail ; c’est le besoin de tourner vers les services d’utilité publique les énergies de femmes plus favorisées ; c’est la nécessité d’une complète révision du statut légal, social, éducatif et industriel des femmes, c’est tout cela réuni qui ne nous permet ni délai, ni hésitation ».

Ce tableau saisissant de la condition féminine que traçait Mme Chapman Cat dépeint la Belgique, hélas ! autant que bien d’autres nations. Chez nous aussi la femme souffre de difficultés économiques qui la poussent à une vie de désordres, et tout conspire à affaiblir sa résistance.

L’immoralité s’étale avec une audace incroyable, dans les journaux, les revues, aux devantures des librairies et des magasins de cartes illustrées. Elle s’affiche sur les boulevards de nos grandes villes où une mère a peur de voir s’attarder ses fils adolescents, où les jeunes ouvrières honnêtes sont en butte aux poursuites des séducteurs professionnels. Le vice triomphe dans les repaires douloureux et sinistres que ravitaille la traite des blanches. De tout cela, Mesdames, si nous n’y prenons garde, notre société s’empoisonne. Corrupteurs et victimes se gangrènent également, mais c’est notre sexe qui compte le plus de victimes et ce sont les plus faibles, et ce sont nos sœurs et nous devons les sauver ! Est-ce à dire que les hommes se désintéressent de la question morale ? — Je ne voudrais pas leur faire cette injure. Certes il en est parmi eux beaucoup à l’âme pure, noble et généreuse, qui veulent élever le niveau de la moralité publique ; mais il faut le reconnaître, dans l’ensemble, la femme a une moralité plus haute que celle de l’homme : elle est donc plus qualifiée que lui pour lutter contre le mal, et elle y mettra plus de volonté, parce que c’est elle qui a le plus à perdre à l’abaissement des mœurs.

Mais pour agir d’une manière énergique et efficace pour protéger l’enfant, la jeune fille, la femme, il lui faut le bulletin de vote.

Et ce jour-là, si aucun parti n’a jusqu’alors dû recourir au vote des femmes pour s’assurer la victoire, c’est l’opinion publique qui leur imposera à tous l’entrée dans la vie politique de cette influence féminine qu’un homme d’État a qualifiée « la plus grande force morale dans le monde. »

L’Assistance Féminine
À LA POLICE




Nombreux sont les cas où l’activité des femmes pourrait s’exercer utilement et pour le plus grand bien de tous. On commence à parler de l’assistance féminine à la police. Voici un extrait d’un compte rendu intéressant paru dans le Mouvement Féministe du 10 avril dernier.

Pour permettre à l’Union des Femmes de Genève, qui avait mis cette question à son programme depuis dix-huit mois, de se documenter à fond sur la tâche des assistantes de police à l’étranger, l’auteur de ces lignes a fait un voyage d’études en Allemagne.

Le poste d’assistante de police n’est point une nouveauté pour l’Allemagne, qui compte déjà un nombre considérable de ces fonctionnaires féminins. En Bavière, spécialement, presque toutes les villes de quelque importance ont leur assistante de police, et la population s’en applaudit. Ce sont, en général, les sociétés privées de protection ou de relèvement qui, par des démarches personnelles, ou en créant un mouvement d’opinion, ont obtenu du ministère la création de cette charge. L’assistante est, en effet, un lien précieux entre les autorités et les associations charitables, elle permet leur collaboration efficace dans nombre de sauvetages, car elle est au courant de toutes les fondations, de toutes les œuvres de protection, de prévoyance et de relèvement, et comme toutes les épaves de la société lui sont amenées, elle se met en rapport avec les institutions correspondant à chaque cas méritant son attention. Son activité, partout très grande, s’exerce surtout sur les mineurs des deux sexes, les vagabonds, les jeunes délinquants, les abandonnés, les filles du trottoir, dont on lui remet le dossier, dressé par le commissaire de police dans un premier interrogatoire qui a eu lieu au poste de police. Munie de ces renseignements sur l’état-civil des prévenus et sur les causes de leur arrestation, elle interroge à nouveau. Elle essaye de gagner la confiance de chacun, d’encourager, d’éclairer ; elle parle maternellement aux enfants, et s’efforce de découvrir quelle est la corde sensible qui vibre encore dans ces cœurs, en apparence glacés. Elle exhorte, elle console, elle fortifie, elle tend la main, et procure le moyen de sortir du bourbier, de trouver un travail honorable. Elle accompagne elle-même à la maison les petits vagabonds qui n’osent rentrer chez leurs parents après une escapade ; elle s’efforce de toutes manières d’être utile. Tâche délicate entre toutes, et pour laquelle un tact délié, une discrétion absolue sont nécessaires. Il faut aussi une sorte d’intuition pour discerner les cas où son intervention sera profitable, et ceux pour lesquels toute démarche et tout effort seraient peine perdue…

En Allemagne, où les tribunaux pour enfants existent dans toutes les villes, l’assistante prend une part active au sauvetage des mineurs, pour lequel des organisations admirables sont nées…

…Lorsqu’il s’agit d’introduire une réforme, et surtout lorsque cette réforme implique une conquête féminine, il faut beaucoup de patience et de longueur de temps. Tout en nous exerçant à cette patience, profitons de cette longueur de temps pour nous documenter, nous éclairer, nous instruire, afin que, lorsque le moment sera venu, il nous trouve prêtes pour nos tâches nouvelles.

E. F.-N.
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Les Musulmanes
ET LE DROIT DE VOTE[1]




Les musulmanes d’Orenbourg (Russie) ont adressé la pétition suivante à leurs coreligionnaires, députés à la Douma, en avril 1908 :

« La loi de l’Islam permet à la femme l’étude des sciences, les voyages, l’accomplissement des devoirs religieux, le pèlerinage à la mecque. Elle les autorise également à entreprendre toute sorte de commerce, et, au besoin, à soigner les malades dans les hôpitaux et les blessés en temps de guerre.

« Représentants musulmans, la loi de Dieu vous impose de revendiquer les droits de la femme. Il vous incombe d’établir des lois qui nous protègent contre les injustices et mauvais traitements de nos maris. Nous sommes les mères du peuple et les amies des hommes.

« L’éducation et le progrès du peuple dépendent de nous. Que les hommes le sachent bien ! S’ils continuent à abuser de notre faiblesse, ils tomberont bientôt eux-mêmes dans la servitude et ce sera la ruine complète du peuple musulman ».

Mais, pour affranchir la femme des servitudes du harem et des sujétions du voile, il faut avant tout lui donner une éducation morale. C’est ce qu’ont fort bien compris les dames françaises, comme Mme René Millet, qui ont créé l’École de jeunes filles musulmanes à Tunis, et les Américaines, qui ont fondé les collèges de jeunes filles à Scutari et à Beyrouth.

C’est aussi là le but que poursuivent des musulmanes instruites, telles que Mme Khadidja Khan, rédactrice du journal l’Itchik, à Bakou ; Mmes Halidé Salih Hanam, diplômée du collège de Scutari, devenue la femme d’un professeur de l’Université de Constantinople et rédacteur du Tanine, et sa sœur Niguiar Hanam, poétesse de mérite. À leur avis, la femme turque, enfermée depuis des siècles dans le harem et réduite à une quasi servitude, n’est pas mûre pour la liberté. Il faut, avant de l’émanciper, l’instruire, lui donner une forte éducation morale et se bien garder d’ébranler chez elle la base de la foi.

ANTI-ALCOOLISME




Les femmes sont les premières victimes de l’alcool. La lutte contre l’alcoolisme doit donc être au premier rang des préoccupations d’un journal féministe. C’est pourquoi nous insérerons dans chacun de nos numéros un article antialcoolique.

Les deux tiers des tuberculeux sont alcooliques. La tuberculose tue huit fois plus de personnes chez les garçons de cabarets que chez les cultivateurs. Pour la folie, le docteur Magnan, de Sainte-Anne, déclare que l’alcoolisme fournit les trois quarts des aliénés du département de la Seine.

Nous allons aujourd’hui continuer la triste énumération des méfaits de l’alcool.

Criminalité. — Le docteur Legrain compte que les deux tiers des criminels sont des alcooliques.

Sur 100 meurtriers, on trouve 53 alcooliques.

Sur 100 incendiaires, on trouve 57 alcooliques.

Sur 100 vagabonds, on trouve 70 alcooliques.

La Belgique fournit l’intéressante statistique que voici, dressée entre 1872 et 1895 :

Condamnés à plus de 5 ans de prison : 45 % alcooliques.

Condamnés aux travaux forcés à perpétuité : 55 %.

Condamnés à mort : 60 %.

Et dans ces trois catégories de condamnés, il s’en trouvait respectivement 11 %, 41 % et 43 % en état d’ivresse au moment du crime.

Il n’est pas possible d’ailleurs d’ergoter sur la valeur de telles statistiques, car, partout où on les a dressées, la même conclusion s’en dégage : l’alcool a une influence considérable sur le développement de la criminalité.

En Suède, de 1830 à 1834, on a compté 59 meurtres et 2 281 vols. On y buvait alors 23 litres d’alcool pur par habitant. À la suite de restrictions presques prohibitives, la consommation est tombée vers 1875, à 5 litres 1/2. Or on a compté alors pendant la même durée : 18 meurtres et 1 871 vols.

En Norvège :

En 1830, 5 litres d’alcool, 294 délits pour 10 000 habitants.

En 1876, 2 litres, 180 délits pour 10 000 habitants.

Plusieurs États des États-Unis nous procurent des chiffres aussi probants. Dans l’État de Birmingham, la vente des liqueurs alcooliques ayant été interdite en 1908, voici les résultats immédiats qui en résultèrent :

Arrestations pour ivresse : 1 434 en 1907 ; 396 en 1908 ;

Arrestations pour outrages aux mœurs : 912 en 1907 ; 602 en 1908 ;

Arrestations pour meurtres : 65 en 1907 ; 29 en 1908.

L’État du Dakota, neuf mois avant l’interdiction et neuf mois après, fournit les chiffres suivants pour sept grandes villes :

Ivresse : 1 492 et 302.

Coups et blessures : 585 et 435.

Et, comme s’il avait voulu faire la contre-épreuve, l’État du New-Hampschire, après avoir prohibé l’alcool, l’ayant autorisé de nouveau, revit tout aussitôt le nombre des délits et des crimes augmenter.

Mortalité. — On comprend, d’après les chiffres fournis en ce qui concerne la débilité générale, la tuberculose et la folie, que, naturellement, une mortalité excessive soit observée chez les tuberculeux. Donnons quelques chiffres. En Angleterre, sur un même nombre de personnes, la tuberculose tue 79 cultivateurs et 607 garçons de cabaret.

Sur 10 000 adultes de 30 à 49 ans, la mortalité chez les débitants est :

À Paris : 46 ‰ au lieu de 36 (moyenne) ;

En Suisse : 43 ‰ au lieu de 26 (moyenne) ;

En Angleterre, d’un tiers supérieure.

Du reste, les Compagnies anglaises d’assurances sur la vie font aux « abstinents », une réduction de prime de 28 %.

Hérédité. — Tout ce qui précède est effrayant. Mais, si l’on n’envisageait pas l’intérêt social général, fortement atteint par l’alcoolisme, l’on pourrait peut-être, avec quelque égoïsme, se dire : « Après tout, ils n’ont que ce qu’ils méritent, tant pis pour eux ! » Ce ne serait pourtant pas exact, car les buveurs ne sont pas seuls coupables. Mais, malheureusement, tous ces maux ne sont qu’une partie de ce que nous coûte l’alcool. Ce n’est pas lui-même seulement qu’intoxique le buveur, c’est encore tous ses enfants qu’il intoxique en lui, et qui viendront avortés, morts-nés, infirmes, idiots… et alcooliques.

  1. Nous extrayons ce passage du livre que M. G. Bonet-Maury vient de consacrer à l’Unité Morale des Religions.