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IDYLLE SAPHIQUE

revienne. Ça ne me sera plus aussi facile, sans lui, de quitter les miens, mais j’ai trouvé autre chose : le prétexte d’une amie délaissée, tiens ! Oui… je l’ai revue ce matin, cette pauvre Jane, bien jolie en désespérée. Elle consent à me servir, espérant sans doute me reprendre. Elle fréquente parfois ma famille ; alors, grâce à elle, je pourrai encore te distraire sans rien briser… Allons vers ces pauvres gens, oui !…

Nhine donna l’adresse et la voiture fila dans la direction de Montmartre. À la montée de la rue des Martyrs, le pavé était si glissant qu’elles durent descendre de voiture et suivre à pied sur le trottoir. Un rassemblement se fit autour d’elles et de l’élégant équipage. Des ouvriers les insultèrent. Elles se rapprochèrent l’une de l’autre.

— Tu vois, Flossie, comme le monde est mauvais et injuste ; nous allons faire du bien et on nous dit des injures.

— Faisons arrêter la voiture et poursuivons seules, veux-tu ? Ce sera mieux, je crois.

Elles gagnèrent ainsi la rue des Trois-Frères et dans un misérable hôtel garni, tout en haut, sous les combles, elles virent un spectacle épouvantable. Le malheureux artiste était à demi nu sur une couchette de paille, avec son enfant à côté de lui. Dans un coin, un petit fourneau remplissait l’étroite mansarde d’une fumée âcre et épaisse qui prenait à la gorge. On y voyait à peine. Le jour venait par une lucarne dont