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IDYLLE SAPHIQUE

désireux de changement — les peuples partout et toujours, hélas, sont les mêmes — le peuple l’acclama Héros ! Sauveur ! Roi ! Il fallait être un imaginatif et un génie comme Shakespeare pour tirer de ce personnage égoïste, rusé et barbare l’image d’Hamlet. Mais le voici qui s’avance lisant, taisons-nous afin d’écouter jusqu’à ses silences… et d’en jouir !

À ce moment Hamlet se prosternait devant Ophélie. Muettes et immobiles, elles suivirent le drame, rapprochées en un même intérêt ému et passionné. Leurs entr’actes en devinrent recueillis, elles murmuraient à voix basse et lentement des mots, des phrases d’analyse et de philosophie en un besoin de communion d’âme.

— Ophélie n’est certainement pas la simple jeune fille que nous montre Mellot, disait Flossie. Sa vertu n’est pas de l’ignorance, ni sa pureté de l’immaturité. Une Ophélie comme celle que nous venons de voir serait incapable de devenir folle. La vraie a une grande âme passionnée et impressionnable qui sait… Sa naissance dans un pays du Nord et son caractère anglo-saxon l’empêchent d’être une amoureuse comme Juliette, mais sa vie à la cour, même en Danemark, la forme et elle est loin d’avoir l’innocence irraisonnée d’une Marguerite. Les gens ont toujours la manie de traduire la jeune fille en sotte, c’est une fausse et mauvaise habitude, surtout lorsqu’elle s’abat sur Ophélie. Ce n’est pas à la candeur béate qu’un frère peut dire que l’amour