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IDYLLE SAPHIQUE

fit Annhine tristement impressionnée. Voilà la mission du théâtre ; il sera le tabernacle futur car il fond la glace de notre égoïsme et nous réduit aux larmes, aux frissons des émotions nobles, il nous élève au-delà de nous-mêmes en nous rendant capables de sublimes désirs… pour un instant seulement peut-être, mais…

— Mais, interrompit Flossie, penses-tu que cela soit en vain ?… soit perdu ?…

— Perdu ? Non, ma douceur. Rien de ce qui est grand ne se perd. Flossie, j’ai une idée, plus qu’une idée, une croyance, que quelque part, dans une sphère lointaine et au-delà, tout ce qui a été pensée noble, tout ce qui nous a fait frémir, ne fût-ce que pendant la courte durée d’un éclair, refleurira, et dans un monde paradisiaque et suprême nous cueillerons les fruits de ce que nous semons ici en notre épreuve de passage. Tout ce qui fut art, clarté, enthousiasme, élan, en ce terrestre passé, deviendra immortel… Là-bas !

Flossie souriait et disait :

— Ah ! quel don que l’imagination ! Si à mon baptême les fées m’eussent offert un trésor, c’est celui-là que j’aurais choisi comme le meilleur de tous. Je ne ris pas de toi, darling, loin de là, mais je dis avec un semblant de raison que les chimères qui ont toujours une tendance à s’envoler au-delà du possible…

— Épargne-les, Moon-Beam, on a déjà tant et tant