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IDYLLE SAPHIQUE

et au-delà de tout fugitif désir ! Tu verras, Nhine, tu verras… j’ai de grands plans… Comme aujourd’hui il est doux et mystérieux de sortir du jour trop vif de Paris trop bruyant et d’être transportée avec toi en un autre siècle et lieu, selon des harmonies et vibrations réciproques et profondes… mais chut ! voici Sarah !

En effet, la Divine s’avançait sous les traits d’Hamlet et l’art la sublimifiait, la transfigurait à un si haut degré qu’elle n’apparaissait plus qu’un être morbide, tourmenté, nuancé de mille caprices, intéressant, séduisant, bizarre et incompréhensible, tant elle se submergeait entièrement non dans un rôle de théâtre mais en l’identité d’une vie réelle et ardemment sentie.

Voyant qu’Annhine s’attentionnait à la pièce, Flossie se mit à étudier les traits de sa bien-aimée, curieuse d’y lire l’impression de ses sensations intérieures. Annhine écouta, distraitement d’abord à la venue de Sarah sur l’esplanade, puis elle s’y mit toute, et lorsque Hamlet dit au fantôme : « Que tu sois un esprit béni ou une âme damnée », son intérêt se fixa, intensifié. Elle subit des émotions multiples et très fortes ; lorsqu’à la fin du premier acte les rideaux se rejoignirent, sa voix tremblait d’enthousiasme en disant : Voilà de l’art et non de l’artifice ! Imprégnées de cette amère philosophie, elles rentrèrent de nouveau dans la prison d’elles-mêmes et Flossie continua :