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IDYLLE SAPHIQUE

respirer un peu, ma douce fleur. Chez nous, en Amérique, don’t you know, darling[1], les jeunes filles ont une grande liberté… je sors avec mon fiancé, nous allons voir les musées, les courses, for shopping[2], dans les théâtres aussi, partout enfin où une jeune fille peut aller… Un fiancé, vois-tu, m’est aussi nécessaire que de boire et de manger et de dormir, that’s all[3]. Il fallait vraiment que j’aie un fiancé, ma Nhine. Il est gentil, très gentil même, le mien. Doux, maniable… il a des yeux verts comme des grains de raisins mûris… il me connaît à fond…

— À fond ? Et Annhine, suffoquée, interrogeait.

— Mais oui, à fond. La preuve en est qu’à l’instant même il m’attend en fiacre devant ta porte… il m’adore, il…

— Non ! c’est trop fort ! Et, sans plus l’écouter, Nhine se précipita hors de l’eau et parvint en deux bonds à la haute fenêtre ; se dressant sur ses petits pieds nus, elle parvint enfin à pouvoir regarder dans la rue… Je vois, je vois, attends… il est sorti du fiacre et il se promène de long en large sur le trottoir. Je le vois bien… il est brun, de longs cheveux un peu pommadés… une grande redingue. Très pâle, imberbe, l’air triste et pensif.

— Oui… il souffre… si un jour tu lui permets d’entrer il souffrira moins… ou plus, peut-être !

  1. Ne savez-vous pas, chérie ?
  2. Dans les boutiques.
  3. C’est tout.