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IDYLLE SAPHIQUE

vois, lorsque tu remplis un engagement quelconque au théâtre, comme ensuite tu as besoin de repos et de soins ! Tu n’as pas assez de force de résistance pour entrer dans une telle liaison ! Cette petite — toi-même me l’as fait justement remarquer — cette petite a les incisives accentuées, la mâchoire bestiale. Prends garde à ta fraîcheur, ma Nhine, et à tes amoureux ! Pourquoi embarrasser ta vie ? Et puis, elle me semble intelligente, ce qui ne la rend que plus dangereuse encore ! Je veux bien croire qu’elle ne nous a pas menti, mais que t’apportera-t-elle ! Tes amis s’en iront de toi si elle t’accapare, elle te fera perdre ton temps et tu connais mes idées là-dessus. Tu dois devenir très riche, Annhine, et te placer au-dessus de tout changement du sort, profite de tes belles années et ne t’emberlificote pas d’une Miss quelque séduisante qu’elle puisse être. Ne lui révèle pas le secret de ton parfum, de tes frictions, le nom de tes fards, de tes amoureux, crois-moi, et ne lui donne que le moins possible de toi-même. Appelle-la aux heures d’ennui, que ce soit tout, et fais-en mystère à qui que ce soit.

Tu boudes ?… Voyons ! tu m’en veux, vilaine ?… alors je ne dirai plus rien… Mais tu sais, Nhine, elle n’est pas si jolie que ça, ta nouvelle fantaisie, et moi je suis jalouse de ce qu’elle me prend déjà de toi et de tes pensées…

Elle se pencha vers la capricieuse enfant gâtée et l’embrassa tendrement sur ses boucles blondes…