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IDYLLE SAPHIQUE

sants qui couvrent le regard… vous n’avez pas ça ?…

— Non.

— Alors, soyez tranquille.

Elle fit semblant de s’endormir et le lendemain, elle l’accueillit ainsi :

— Vous savez, docteur, ces taches noires devant les yeux dont vous m’avez parlé hier, je les avais !… Je les ai depuis trois jours !… Vous n’auriez pas dû me le dire, c’est faux, d’abord, car je ne suis pas morte et je me sens bien mieux.

Comme on lui demanda s’il n’y avait pas quelqu’un qu’elle désirerait voir,

— Je veux crever toute seule, tranquillement… laissez-moi !

Quelquefois, elle appelait Altesse et lui serrait la main sans dire un mot, puis elle enfouissait son visage dans ses oreillers et ne bougeait plus. Fréquemment la nuit, elle avait des réveils subits, épouvantables, elle se démenait avec force, se défendant contre d’invisibles ennemis, un géant formidable dont le pied l’écrasait… là !… là !… — elle désignait sa poitrine et respirait avec effort. Ou encore c’était de l’eau qui l’engloutissait, froide, asphyxiante. Elle se convulsait toute en appelant des noms inconnus, étrangers, ceux des amants, des amis de jadis, et des frissons de fièvre la faisaient grelotter, puis des serpents dont l’enroulement la frappait de terreur, l’étranglement d’une corde autour de son cœur… du feu qui la brûlait, la consumait… d’étranges appari-