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IDYLLE SAPHIQUE

prostration dont rien ne pouvait plus la faire sortir. Après l’angoisse des premiers moments, elle s’était soumise à tout, résignée, en attente d’un mieux bienfaisant ou d’une délivrance. Elle restait couchée, sans prononcer une parole, pendant de longues journées, sans faire un geste, sans même tourner la tête, fixant continuellement le même coin d’ombre. Soudain elle criait : J’étouffe !… et angoissée, hors d’elle, elle se soulevait sur ses oreillers, le regard perdu elle suppliait :

— Je meurs… je meurs !… Ah ! ne me laissez pas mourir !… Tesse !… Ernesta ! Ranimez-moi !… Ranimez-moi !…

Puis elle retombait lourde, sans vie, en une longue syncope. Elle subissait environ trois morts par jour, c’était atroce. Ah ! elle voulait la fin !… ou bien elle aurait tout supporté pour guérir. Lorsqu’elle revenait à elle, elle prenait docilement, désespérément les remèdes ; des larmes lui coulaient des yeux. Un jour que le docteur s’approchait, elle lui demanda d’une voix plaintive :

— Dites-moi, docteur, qu’est-ce qu’on sent quand on va mourir ?

Il lui répondit, avec une aisance affectée :

— Oh ! mon enfant, vous n’en êtes pas là, vous n’en avez aucun symptôme.

Et comme elle insistait avec l’entêtement des malades, il hasarda :

— Eh bien, on perd la vue qui s’affaiblit de plus en plus, on voit de grands vides noirs et assombris-