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IDYLLE SAPHIQUE

Alors je t’aurais plus à moi, nous recommencerions ensemble la vie, lavées ainsi des vieux souvenirs. Ah ! que je voudrais ne jamais rentrer !… te garder ici, toute à moi, loin des autres. Quelle douceur dans le mystère assombri de ce crépuscule, Nhine marchant près de moi, dans l’enlacement de mes bras et l’enveloppement de ma tendresse !…

Annhine s’abandonnait, pénétrée jusqu’au fond de l’âme. La lumière brutale de l’avenue qui contournait la forêt et devait les mener au pavillon Henri IV, les rappela soudain à la réalité.

— Il faut dîner, Flossie…

— Il faut, il faut, toujours il faut !… — puis gaiement, je veux être ton petit mari qui t’emmène dîner au cabaret !

Elle prit une grosse voix et ordonna le menu au garçon :

— Vois-tu, il est nécessaire que je sois bien nourrie, ma petite femme, je me lève tôt et me couche tard. La Bourse me fatigue, mais il faut que je travaille afin de gagner de quoi satisfaire tous tes caprices… Nhine, il me semble que j’ai une barbe, des regards qui s’attendrissent devant les huîtres et un plastron froissé qui sera taché tout à l’heure. Je porte une grande chaîne d’or qui retient ma montre d’ancêtre, celle où est ta miniature que je montre si fièrement aux agents de change en leur disant : c’est ma femme !… Comme c’est gentil à deux époux de dîner ainsi en tête à tête.