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IDYLLE SAPHIQUE

genoux, me disant qu’elle comprenait mon chagrin, causé probablement par une scène récente avec ma gouvernante qui avait été injuste envers moi. Je la laissai croire ce qu’elle voulût, secrètement contente qu’elle ne m’eût pas devinée.

— Flossie, tu déséquilibres tout ; quand je t’entends, il me semble que les choses n’ayant pas d’importance aux yeux du monde sont au contraire celles qui en ont ; ma vie — et ce que je devrais en faire — m’apparaît lointaine et sans le moindre intérêt. Je suis comme un instrument à mille cordes sur lequel on n’aurait joué que d’une seule… et celle-là s’en est rompue ! En moi on a coupé les ailes à toute poésie et mon existence me semble aujourd’hui une platitude sale, inutile, puisque le mieux en moi n’a point fleuri. On a cultivé la brute, l’oisive, on m’a beaucoup désirée, je me demande si on m’a vraiment aimée ?

— C’est ici, interrompit Flossie.

La voiture s’arrêtait.

— Alors nous avons tout le temps pour faire une promenade. Le jour baisse, ce sera exquis.

Elles s’enfoncèrent sous bois, à l’abri des regards, se tenant par la main et dans un accord si parfait d’idées et d’intimes sensations qu’elles restèrent longuement silencieuses.

Puis Flossie, la première, dit au retour :

— Qui sait si dans ce bois nous n’aurions pas trouvé une source bienfaisante, petite sœur du Grand Fleuve qui verse l’oubli aux âmes trop meurtries.