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IDYLLE SAPHIQUE

beauté me berce dans l’oubli de tout ce qui n’est pas toi. Je vois très vaguement, comme à travers un songe, une auréole de cheveux roux, flamme vivante qui m’inspira et me fit connaître l’amour. Elle s’appelait Eva, la mère de mes désirs, l’initiatrice de mes premières joies. Je crois qu’elle est morte depuis, ou mariée, oui, mariée, ce qui revient au même. Mais avant, bien avant, alors que j’avais huit ans, je me souviens que j’éprouvais des désirs indistincts.

— À huit ans !… et Nhine sursauta… comme Hercule, tu étouffais des serpents dès ton berceau !

— Sacrilège Nhinon, aveugle, sourde, mais que je ferai voir et entendre !… Je ne dis plus…

— Si, si, je t’en prie, continue.

— Non !

— Si, je le veux…

— Ma cousine était jolie, j’oubliais de dormir en la regardant la nuit. Le soir, elle disait des prières et j’aurais voulu savoir ce qu’elle désirait afin de le demander au ciel pour elle. Seulement je n’osais la questionner, je suis timide…

Elle regardait Annhine qui riait en-dessous.

— Tu ne t’en douterais pas, mais c’est pourtant vrai… Nous voyagions et partout elle emportait une photographie, le portrait d’un vilain monsieur encadré dans de la peluche rouge. Une fois je la vis qui l’embrassait à la dérobée et je pensai : quel dommage !… et je le sentais si vivement et si fort que j’en pleurai. Elle vint à moi et me prit alors sur ses