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IDYLLE SAPHIQUE

bler par le souffle énervant du Désir, et quoiqu’attirée par l’enivrant parfum de ces fleurs de la vie, je m’enfuirai, résistante car je sais que sous elle se cache le serpent destructeur.

— Tu fais erreur, Flossie, on ne se groupe pas gracieusement au bas d’un calvaire. Vois Marguerite dans Faust ou encore Elisabeth du Tannhaüser… on doit payer, s’en aller toute seule avec sa douleur.

— Non, laisse-moi bien croire que je ne suis pas venue trop tard dans ta vie et,

Not like the ships that pass in the night[1].

Elles se réfugièrent dans le coin le plus obscur du boudoir et y restèrent longtemps, faisant des projets sans nombre, sans suite, heureuses… puis elles se taisaient tout à coup, mêlant leurs larmes, leurs souffles, leurs frissons, échangeant leurs âmes. Les yeux de Florence se dilataient et une expression d’exaltation presque féroce vibrait encore au coin de sa bouche extraordinairement rouge, rouge de fièvre et de violence contenues. Elles se séparèrent, sans se quitter, trop près l’une de l’autre spirituellement pour qu’un effet physique pût agir directement contre leur impression d’union.


  1. Pas comme les vaisseaux qui se croisent à travers la nuit. (Tennyson.)