Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
IDYLLE SAPHIQUE

de toi, la voix vibrante, les yeux clairs et riants, joyeux, tu traversais ce jardin ravissant d’idéal tout ensoleillé avec des pelouses et de grands arbres au travers desquels on apercevait, comme une espérance, un coin du ciel bleu ! Et je me trouvais sur votre chemin, moi, pauvre petite fée mauve, si longue, si frêle, si pâle !… Meurtrie par la vie, blessée au contact des hommes, écrasée par la brutalité des choses, touchant à peine à la terre, je m’en allais pour toujours au-delà des brumes lointaines…

Ah ! ces premiers effleurements de nos regards, de nos pensées, puis cette folie subite qui unit ta force à ma faiblesse, cette ivresse qui s’empara de nos deux âmes, cette volupté qui nous précipita dès les premiers moments dans les bras l’un de l’autre !… Car, loin d’être coquette avec vous, mon amour, je me laissai aller de suite à cette griserie du cœur et des sens qui ne raisonne pas et qui ne remet pas à plus tard le bonheur qui s’offre !… Et ainsi je voulus vivre !… Et je fus transformée !

Oui… ce fut un rêve, cette fin d’hiver si enivrante, cette passion si chaude, si subite où tout en nous et autour de nous battait à l’unisson ! Ces délicieuses promenades dans les étroits sentiers perdus, loin des regards, la main dans la main, où je ne vivais que du regard de tes yeux, du baiser de ta bouche ! Puis, séparés, l’attente des moments qui nous retrouveraient ensemble, puis l’heure qui te ramenait près de moi, puis nos étreintes, nos caresses, et enfin cet apaisement si tendre où je te sentais encore près de moi à travers le nuage de nos rêves, dans la nuit, la longue nuit silencieuse !…

Et, plus tard, ces quelques jours passés chez toi, loin des bruits de la foule, loin de tous ! Près de ces vieilles