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IDYLLE SAPHIQUE

— Elle est sûre de moi, se dit Annhine.

Cette idée la mit en rage, elle hocha la tête, puis déchira l’enveloppe en mille morceaux, nerveusement comme pour réduire en miettes l’impalpable du fluide qu’elle redoutait et subissait à la fois.

— C’est idiot tout cela, au fond, mais c’est doux ; elle écrit joliment bien pour une étrangère, quelle suavité en ses pensées, dans ses moindres sensations ! Elle me charme et me corrompt… c’est sûr, elle m’intéresse trop !… Je ne veux pas !… Je ne veux pas !

Altesse entrait en coup de vent, elle s’arrêta, incertaine devant l’attitude rêveuse de Nhine et devina tout à la vue de la lettre qui s’ouvrait sur la table. Elle n’interrogea pas, en attente, puis coupant court à un silence de gêne et d’embarras, elle feignit de ne rien voir et dit :

— Nhinette chérie, viens voir, c’est drôle comme tout, on part chercher les taureaux pour la course de demain, il y a les bonnets verts[1] qui font une espèce de cortège, puis la musique.

Tandis qu’Altesse ouvrait la fenêtre, Nhine dissimula vivement la lettre de Flossie entre les feuilles de son buvard.

Elles s’accoudèrent au balcon.

  1. On appelle ainsi des gens, sortes d’amateurs qui, à la fin de chaque course, se précipitent de face sur le taureau et se suspendent à ses cornes. Ils portent des bonnets verts.