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IDYLLE SAPHIQUE

peu s’enfuir de la terrestre sphère, éviter les étreintes physiques, oublier les phrases banales, les gestes brusques, et son âme appellera la mienne. Alors, une poésie inconnue la pénétrera, la bercera selon le rythme de ses désirs, hors de la prose de la vie. Voit-on ce qui est gothique ou moyen-âge sans la silhouette d’un page ? Laisse-moi aller à toi, m’extasier à tes pieds, là où tu es, par ces nuits idéales qui semblent se pâmer d’Amour !… Nhine, tu ne connais pas l’Amour qui se module selon les décors ! Tu n’as eu que des amants excités de leur désir et non de leur entour ; pour eux tu as été une femme — le sexe — et non l’amante d’un rêve ! Laisse-moi aller en recherche de tout ce que tu as éparpillé sur eux. J’irai ramasser sur la grande route tes illusions perdues, mon amour les ranimera, et joyeuse, tu m’en couronneras !… Nhine !… Laisse-moi t’aimer ! Appelle-moi ! Viens ! La très chaste amitié que tu veux serait le culte de mes plus fous désirs si elle était complète. Mais tu es avide de l’impossibilité : la Voix sans le Son, les Rayons sans le Soleil, l’Art sans l’Inspiration, la Beauté sans la Forme ! Si tu m’étais moins connue, ceci serait plus réalisable, mais je t’ai comprise et aimée. Pour moi tu es devenue l’essence de tout parfum, l’unique but de ma vie ! Ton individualité m’obsède, et je te crierai de toutes mes forces : je t’aime !… Puisses-tu m’entendre ! Les autres te blesseront de plus en plus ! Va, voyage ! Boude-moi ! Écoute-les ! Que m’importe, tu es mienne pour toute l’éternité et je me voue à toi, et je saurai t’attendre ».

Flossie.