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IDYLLE SAPHIQUE

dont le parfum me grisait si doucement. Et les arbres s’en allaient très vite, je me semblais immobile, la campagne courait autour de moi… ainsi que Toi, ainsi que Moi. Est-ce Toi qui es partie ?… ou Moi ?… ou Nous ? Et les arbres couraient, les petites montagnes se sauvaient, quelques maisons blanches fuyaient, rapides, et tout cela me répondait : Non, non, c’est Toi qui passes, tu es l’Errante ! Nous, et le Ciel et les Étoiles sommes les Impassibles, les Stables, les Immuables, les Infidèles ! Nous te charmons ce soir, ensuite nous en charmerons d’autres. Si tu reviens jamais, tu nous retrouveras, plus beaux ou plus laids, mais nous, nous toujours, beaux ou laids selon ton Idée, ta Fantaisie ou ton Caprice qui te suivent et t’enveloppent, qui te mènent et te domptent et t’ordonnent ! Tu nous retrouveras ainsi, laids ou beaux, toujours les mêmes : Stables et Infidèles !… Et je jouissais d’une tristesse douce et enivrante qui me mêlait à Toi qui fus ma blonde, ma Flossie… je pleurais presque. Était-ce Toi ?… Était-ce Moi ?… Et mes pleurs me faisaient un plaisir plus intense que les rires et les gaietés des deux êtres devant moi : le fils d’un roi et une amie bien chère qui se tournaient parfois en désir de me faire partager leur joie. Non, non, laissez-moi à mes rêves, je suis si bien, pas seule, non, je suis avec une âme qui me caresse et me comprend ! Et la route fuyait !… Et j’abaissai mes regards sur le sol. Alors, horreur ! désillusion !…

« Je vis des pierres, des cailloux, de la boue, des herbes piétinées, écrasées, des fleurs empoussiérées, des ordures, des traces de pas, des ornières : Lève tes yeux… me dit ma cruelle et tendre Voix intérieure