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IDYLLE SAPHIQUE

nous les prendraient bien pour des étoiles, ces feux banals allumés par la main des hommes, qu’un souffle du vent fait vaciller, qu’un rien éteint, lueur tremblotante et falote, utile et bête !

« La Lune boudait hier, et je me promenais dans la campagne en l’attristante solitude des bords du Tage, traînée par cinq petites mules folles et enrubannées. Devant moi, deux êtres devisaient et projetaient des lendemains joyeux. Joyeux !… Ah ! ah ! ah !… Comme s’il était sur terre une joie possible pour qui sait et comprend !… et moi, j’étais assise en arrière, seule, isolée… et je tournais la tête afin de ne pas les voir, et je bouchais mes oreilles pour ne pas les entendre… et mon regard se perdait, fouillant le chemin parcouru. La Lune boudait toujours invisible, mais la Voie blanche, la Voie lactée éclaircit le ciel, et je pensai à toi, Moon-Beam, à tes cheveux pâles et fins… pourquoi ? Parce que ton caprice, le mien, le Caprice aux ailes brillantes et rapides, ainsi qu’un bel oiseau des îles, s’est posé un jour sur une fragile fleur, union de nos deux âmes, et parce que c’était doux, ainsi de loin, d’y songer, sous la belle voûte éthérée de saphyr sombre.

« Les chemins parcourus, c’était triste ! Je leur disais en moi-même, et à toi aussi : Je ne vous reverrai plus, mes beaux chemins d’ombre, mes routes d’angoisse, mes carrefours enténébrés, mes arbres perdus au loin… jamais plus ! Un brusque départ, une soudaine fantaisie… et les mules m’entraînaient avec un bruit joyeux de clochettes, et la route s’assombrissait derrière moi, au passé de mon regard… Et je songeais à Toi, à ma petite Fleur bleue que je ne verrai plus et