Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
IDYLLE SAPHIQUE

à nous et nous devons rendre chacun heureux. Nhine, c’est le sublime autel de l’Amour, roi du Monde !

Secouée et grisée par ses paroles, Altesse était splendide. Nhine la regardait, elle lui prit les mains :

— Alors, chérie, tu ne seras plus triste ? Tu ne regarderas plus loin… loin… comme tu le fais parfois ?

Altesse sourit :

— Oh ! cela, c’est différent ! J’ai un vilain défaut, Nhine : l’orgueil !… Et j’ai été blessée ! J’ai senti une épingle s’enfoncer lentement, cruellement, dans mon cœur. Une épingle, c’est peu de chose, et pourtant ma vie s’échappera goutte à goutte par cette infime blessure !… Ce que je veux ? Oh ! j’y ai bien songé, va ! Quand tu n’auras plus besoin de moi, je me retirerai très loin, en un couvent d’Italie, à Fiesole, où l’on reçoit les femmes riches et libres, les désabusées qui désirent le recueillement et l’oubli. Pour cela seulement, et non pour y suivre les rites pieux, car je n’ai pas la Foi, n’ayant pas la Crainte ni l’Espérance, n’ayant rien à demander. Je m’y éteindrai dans un ultime décor de soleil et d’azur, entendant sans les comprendre des voix qui murmureront, dans une langue étrangère des paroles inconnues. Elles emporteront mes souvenirs comme de légères feuilles mortes balayées par le vent. Je me modèlerai une âme, une âme quelconque, très paisible, lente et préparée… À quoi ?… Je n’en sais rien ! C’est là mon Rêve définitif et absolu. C’est là mon But, c’est tout ce que je veux :