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IDYLLE SAPHIQUE

Je pourrais le reprendre, le ramener, briser sa carrière, déjouer ses projets, ses espoirs, l’emporter bien loin, ce me serait facile. Je méprise de tels moyens, ce qui est fait est fait. Seulement un peu d’amertume me reste au cœur, Nhine, car celui-là me devait tout et son bonheur se fait désormais de tout le mien. Non, vois-tu, maintenant j’ai entrevu la vie par son vilain côté, elle n’a plus rien à m’offrir, c’est fini, bien fini… Elle s’exaltait et parlait violemment, puis se contenant, elle reprit : Mais il y a toi, toi que j’aime, ma Nhine, toi dont l’imagination un peu folle et énamourée d’irréel a besoin d’être ramenée doucement à la vision simple des choses, et je veux t’y aider. Il faut faire ta vie, assurer ta fortune, pour être indépendante et choisir ceux ou celles qui devront embellir ton existence sans qu’il te soit nécessaire de marchander. La Fortune, Nhinon, c’est pour nous, courtisanes modernes, l’affranchissement, la supériorité, le droit à tout, même à la considération, si nous y tenons ! Tout s’achète !… La courtisane se donne ou se vend sans avoir besoin de s’abriter derrière une étiquette de formalités ou l’achat d’un nom. Ainsi qu’Aspasie, qu’Impéria que j’aime à te citer, Altesse, Annhine restent debout, idoles aux pieds desquelles tous déposent leurs hommages et leurs offrandes : qui son talent, qui sa fortune, qui son esprit, qui sa gaieté. Celui-ci apporte un nom illustre et blasonné, celui-là un cœur, un autre ses richesses, mais tous viennent