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IDYLLE SAPHIQUE

rencontre de deux cœurs. Puis les froideurs voulues des camarades, la menace du retrait d’une maigre pension allouée par deux vieilles tantes bigotes et aussi les reproches de sa conscience qui le blessaient intérieurement de frôler le grand luxe d’Altesse. Raoul céda, prit la première venue sur la liste des demoiselles à marier qu’on lui désigna, comme on choisit un plat sur un menu, et il écrivit à Altesse la lettre classique : Il fallait se résoudre… la vie, l’avenir, les difficultés, l’honneur !… À ce mot, elle plissa ironiquement la bouche. L’honneur, comme ils le comprenaient, ces gens-là !… Enfin !… Il l’aimerait toute sa vie. Jamais il ne pourrait l’oublier… puis, plus tard, il lui enverrait un souvenir, un cadeau qu’il la suppliait d’accepter. Un cadeau !… Avec l’argent de l’autre !… Ah ! oui ! le fameux honneur ! On est gentilhomme, on sait que l’amour se paie. Puis encore il lui demandait, à elle, de l’aider à avoir du courage ; il souffrait atrocement, sa vie se dessinait si triste, en regrets, en souvenirs, il fallait qu’elle lui tendit encore la main pour l’aider à franchir ce pas, oui, un mot d’adieu et qui sait, d’au revoir… un encouragement à remplir son devoir !… Une grande chaleur monta aux tempes d’Altesse. Ses yeux se perdirent, se voilèrent, puis son cœur cessa de battre, un froid intense la saisit. Pour dissiper son vertige elle se leva brusquement, le regard à la fois vague et fou comme si elle eût voulu retenir ce qui lui échappait. La lettre tomba à