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IDYLLE SAPHIQUE

savoir, désirant achever ce livre dont elle avait feuilleté les pages sans aller plus loin que le premier chapitre cruellement exquis qui l’avait si violemment attirée en dehors de la banalité coutumière. Elle voulait éprouver, elle aussi, la douceur et l’âpre acuité des sensations malsaines et réprouvées qui lui feraient frôler le crime des hors-nature. Ainsi que ceux qui souffrent, elle s’acharnait à son idée et y revenait sans cesse ; malgré les efforts de Tesse, en dépit de son anxiété attentive, elle était absorbée… lointaine… toujours là où elle cessait de comprendre… en désir, en curiosité !… Plus de nouvelles… rien… pas un mot… aucun signe de la vision troublante qui l’avait tant impressionnée !… Où peut-elle être ? Que sera-t-elle devenue après toutes ces histoires ?… Ah ! ce drame !… Elle en frissonnait encore. Au fond, elle préférait sa complète ignorance. Rien qu’à la seule idée de revenir vers les dernières heures, le tourbillonnement des masques, cette comédie atroce de la femme jalouse qui s’abattait inerte, son cœur battait à se rompre, comme alors, mais Elle, la douce, la si blonde enfant ?…

Tant pis, elle allait se risquer. Pourquoi pas, après tout ? Qu’y avait-il de mal à cela ?… On était à la veille du premier de l’an, à cette époque où les moins intimes échangent un mot de souvenir, un envoi de vœux de bonheur. C’est cela, elle allait écrire : une petite image, un paysage de givre, puis derrière, une ligne, un souhait. « Je te désire mille joies d’âme et de nerfs », ce serait tout… son nom :