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IDYLLE SAPHIQUE

bien, nous le leur donnerons… tu vois, ce sera une fortune pour eux.

Elle se jeta dans les bras d’Annhine bouleversée qui éclata en sanglots.

— Notre peine et nos pleurs d’aujourd’hui leur auront gagné cela, ma douceur, vois, nous n’aurons pas perdu de temps… Ah ! ma Nhine, je me sens plus près de toi encore et plus loin de tous ces hommes, que je hais en un seul !…

Elle la serrait à la briser et l’embrassait furieusement.

— Je ne sais plus ! Je ne sais plus ! murmurait Annhine… après tant d’amères réalités, j’ai peur… peur d’écouter une nouvelle illusion…

— Tu m’écoutes cependant…

— Oui, mais comme on écoute la musique d’une religion à laquelle on n’a plus la force de croire, qu’on ne sait plus comprendre. Que ferais-tu dans ma vie, ma vie tellement clouée à terre par tout un lourd passé que la mort seule pourrait effacer ?

— Du bien.

— Du bien !… est-ce possible encore ?

— Du bien à toi, d’abord… et puis ensemble nous en ferons aux autres.

Nhine eut une lueur d’espoir :

— Oui, nous ferons du bien et cela rachètera cette épouvantable existence, cette épouvantable journée qui m’a heurtée de face contre moi-même… et tout