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Je laisse cet homme impassible, et gagne le quai dont la physionomie est anormale. Plus de ces allées et venues fébriles, de facteurs, d’employés ; ceux-ci sont répartis en petits groupes, parlant posément entre eux, ce pendant que les voyageurs font les cent pas devant les portières du train ouvertes. Partout règne le calme d’une petite gare de province.

Je m’approche d’une voiture de première classe. Une dizaine de manœuvres astiquent les poignées de cuivre, nettoient les vitres, ouvrent et ferment les portières pour s’assurer qu’elles jouent bien, époussettent les coussins, éprouvent les robinets d’eau et les boutons de lumière électrique. Une vraie rage de propreté, fait inouï dans les chemins de fer italiens ! Huit minutes ont passé et la voiture n’est pas prête encore.

Dio mio ! s’écrie soudain un des manœuvres. Voilà de la rouille sur les poignées de cette portière !

Et il frotte la rouille avec une ardeur sans pareille.

Est-ce que vous allez nettoyer ainsi toutes les voitures ? lui dis-je.

Toutes ! me répond cet homme consciencieux d’une voix grave. Et il y en a quinze à nettoyer encore !

Cependant, la locomotive n’est pas encore là. Je m’enquiers. Un employé complaisant m’assure que le mécanicien est entré au dépôt à l’heure réglementaire, mais il lui a fallu beaucoup de temps pour mettre sa machine en état, car il a voulu peser les sacs de charbon, compter une à une les briques d’aggloméré, enfin, inquiet sur certains appareils, il a dû prier son chef de venir discuter avec lui, — conformément au règlement !

J’assiste au dialogue suivant entre un sous-chef de gare et le chef de train :

« — Écoutez, dit le sous-chef de gare, vous savez bien que si vous exigez que le train soit formé suivant les règlements, on ne partira plus.