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faire, si elle avait eu le tort de continuer à s’hypnotiser dans l’espoir d’une Révolution survenant sans effort direct de sa part.


La prétendue « Loi d’Airain ».


En même temps qu’on nous leurrait avec cette croyance messianique en la Révolution, pour nous déprimer davantage, pour mieux nous persuader qu’il n’y avait rien à tenter, rien à faire, pour nous plonger plus complètement dans la crasse de l’inaction, on nous endoctrinait avec la « loi d’airain des salaires ». On nous apprenait qu’en vertu de cette inéluctable formule (due surtout à Ferdinand Lassalle), dans la société actuelle tout effort est perdu, toute action vaine, car les répercussions économiques ont tôt fait de rétablir le niveau de misère au-dessus duquel ne peut émerger le prolétariat.

En vertu de cette loi d’airain — dont on faisait alors la pierre angulaire du socialisme — il était proclamé que « le salaire moyen ne saurait normalement dépasser le taux strictement nécessaire à la vie de l’ouvrier ». Et on disait : « Ce taux est réglé par l’unique pression capitaliste et celle-ci peut même le faire descendre au dessous du minimum nécessaire à la subsistance de l’ouvrier… La seule règle du taux des salaires est l’abondance ou la rareté de la main-d’œuvre… »

Pour preuve de l’inexorable fonctionnement de cette loi des salaires, on comparaît l’ouvrier à une marchandise : si, au marché, il y a abondance de pommes de terre, elle sont à bon compte ; s’il y a rareté, elles renchérissent… De même en est-il de l’ouvrier, affirmait-on : son salaire varie avec l’abondance ou la pénurie de la chair à travail !

Contre l’enchaînement logique de ce raisonnement absurde, nulle objection ne s’élève ; aussi la loi des salaires peut-elle être tenue pour exacte… tant que l’ouvrier consent à être une marchandise ! Tant que, pareil à un sac de pommes de terre, il reste passif, inerte, et subit les fluctuations du marché… Tant qu’il courbe l’échine, endure toutes les avanies patronales,… la loi des salaires fonctionne.

Mais, il en va autrement dès qu’une lueur de conscience anime l’ouvrier-pomme de terre. Quand, au lieu de se confire en inertie, veulerie, résignation et passivité, l’ouvrier prend conscience de sa valeur humaine, s’imprègne d’esprit de révolte ; quand il vibre, énergique, volontaire, actif ; quand, au lieu de rester sottement accolé à ses semblables (telle une pomme de terre à côté de ses pareilles), il entre en contact avec eux, réagit avec eux, de même qu’ils réagissent sur lui ;