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En tous les cas, condamné politique il l’est sûrement, car je le redis encore : s’il fut si sévèrement frappé, l’affirmation de ses convictions anarchistes en fut cause.

Girier, qui a vingt-huit ans, a passé treize ans en prison ; et sur ces treize ans, il a croupi huit mois en cellule de condamné à mort, attendant chaque matin l’exécution…

Condamné politique, il l’est indiscutablement ; mais il ne suffit pas d’établir le fait : sa vie vaut d’être connue, tant elle est douloureuse.

Girier est de Lyon. À treize ans, malheureux dans sa famille, il s’échappe et vague à l’aventure. Dans les rues il rencontre un homme qui lui donne à manger, lui offre un gîte. Il suit l’homme, mais l’abandonne bientôt, car son bienfaiteur a visiblement des intentions louches. Il se cache dans une cave où la police le déniche. Il est conduit au poste. Là, dans la bande de mouchards, le gamin reconnaît « l’homme » — c’était un policier. Mauvaise note pour le petit inculpé : on le condamne à huit jours de prison pour vagabondage et attentat aux mœurs. Les huit jours écoulés, Girier avait beaucoup réfléchi : ce fut un révolté qui sortit de prison.

C’était une époque d’effervescence ; Lyon bouillonnait. En 1883, les réunions se succédaient ; le gosse y va, et ne se borne pas à écouter : il parle ! Et il parle à des foules de deux et trois mille personnes. Ce gamin est écouté, applaudi. Un soir, le commissaire de police, trouvant trop acerbe le discours de Girier, veut imposer silence au petit orateur, qui lui répond vertement. D’où poursuites : insultes à un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

Pareil délit, pour un homme, est tarifé à quelques semaines, — quelques mois de prison au grand maximum.

Pour un enfant, il n’en va pas ainsi (et ceci est une des caractéristiques sociales : toujours la répression est d’autant plus brutale qu’est faible la victime), — Girier est condamné à l’internement dans une maison de correction jusqu’à dix-huit ans. Il avait quatorze ans…

Vers le milieu de 1886, Girier sort de prison. Il a la chance de s’embaucher à Lyon. Un mois ne s’est pas écoulé que la police vient sermonner son patron, lui apprend qu’il occupe