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Liard-Courtois expie, à la Guyane, une peccadille que, journellement, tout le monde commet, capitalistes et prolétaires, ministres et miséreux. Qui de nous n’a pas changé de nom quelques dizaines de fois ? À qui n’est-il arrivé, pour des raisons graves ou gaies, de signer d’un nom autre que le familial, le registre d’hôtel ? Cette vétille, changer de nom, a coûté à Liard-Courtois cinq ans de travaux forcés.

Voici les faits :

En 1892, Courtois, poursuivi pour délits de paroles en réunions publiques à Reims et à Nantes, fut, par défaut, en vertu de la loi sur la presse de 1881, condamné à deux fois deux ans de prison.

Courtois se réfugia en Angleterre, d’où il émigra vite dans le Midi de la France. Continuer à s’appeler « Courtois » était scabreux : les réunions l’attiraient et une fois dans la salle il prenait la parole, s’exprimant en termes que les magistrats tenaient souvent pour malséants et provocateurs.

Le contumace prit le nom d’un de ses amis, un orphelin élevé par l’Assistance publique, anarchiste comme lui, et mort depuis six mois sans laisser de parenté connue ; Courtois fit peau neuve en endossant le nom de « Liard ».

Le stratagème lui réussit dix-huit mois ; entre temps, le nouveau Liard eut quelques démêlés avec la justice, fit une demi-douzaine de mois de prison, mais sa vraie personnalité ne fut pas soupçonnée : il resta Liard pour tout le monde. Une dénonciation mit les magistrats sur la piste : Le faux Liard, emprisonné à Bordeaux pour un discours prononcé au cours d’une grève de sa corporation (il était peintre en bâtiments) devait être libéré le lendemain.

— Vous vous appelez Courtois ?

— Étrange supposition ! réplique le prisonnier avec une aisance parfaite.

Les magistrats comparèrent avec soin les deux signalements : celui du Liard qu’ils avaient sous la main avec celui du Courtois que, de Paris, leur avait envoyé M. Bertillon. Cet homme illustre avait anthropométré Courtois à diverses reprises et, comme il arrive chaque fois que son système est mis à sérieuse épreuve, l’expérience tourna à sa confusion : les deux signa-