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leur verdict fût ce qu’il est : une condamnation pour un article de journal prétendu diffamatoire, à cinq ans et un mois de prison.

En même temps que, fixant l’attention de tous, se déroulait à Paris le procès des Trente, à Dijon, dans une indifférence complète, la même arme légale faisait des victimes.

Gabriel Monod, un exubérant, un bonasse, tenait à Dijon boutique de fripier et lui et sa boutique s’étaient acquis une quasi-célébrité. Aux clients, Monod, dédaigneux du commerce, expliquait ses théories et démontrait ce que sa profession aurait d’absurde dans une société équilibrée. C’est chez lui qu’était déposé le drapeau noir du groupe anarchiste dijonnais — et maintes fois le drapeau fut sorti de sa gaine et accroché à la devanture de la friperie. Avec un intarissable flot de paroles, Monod aimait raconter comment un jour il berna la police : en perquisitionnant chez lui, sous un quelconque prétexte, les policiers découvrirent dans le fond d’un placard une boîte soudée, donc suspecte, avec l’inscription révélatrice « dynamite ». L’inscription, plus suspecte que la boîte, eût dû donner l’éveil ; pourtant avec d’inouïes précautions, « l’engin » fut déménagé et quelques courageux spécialistes, s’abritant derrière d’énormes blindages, l’ouvrirent à l’aide de tenailles de longueur démesurée : il contenait… n’insistons pas.

En tout cela, jusqu’à la mort de Carnot, les magistrats dijonnais n’avaient pas trouvé motifs à incriminer Monod.

Ce jour-là, le fripier était installé dans un café à femmes où l’avait conduit un louche personnage, Quesnel. On buvait. Quesnel déblatérait, ponctuant son verbiage de grands gestes, et, haussant de plus en plus le ton, il approuvait les actes de l’un, blâmait ceux de tel autre, faisant des prédictions sinistres, ne s’arrêtant que pour s’humecter le gosier. Monod, bouche bée, écoutait le braillard avec béatitude. Après deux longues heures de station dans cet établissement, les deux amis se quittèrent. Arrivé chez lui, Monod trouva un agent qui lui enjoignit de se rendre chez le commissaire du quartier. Là, on lui annonça sa mise en état d’arrestation pour « apologie de faits qualifiés crimes ». Le pauvre naïf jura