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était à peine assis à table, que la pauvrette se mit à gémir. Je me sentis mourir de peur. Il l’entendit : « Qui est-ce qui gémit chez toi, vieille ? » Je saluai le brigand jusqu’à terre : « Ma nièce, tsar ; elle est malade et alitée il y a plus d’une semaine. – Et ta nièce est jeune ? – Elle est jeune, tsar. – Voyons, vieille, montre-moi ta nièce. » Je sentis le cœur me manquer ; mais que pouvais-je faire ? « Fort bien, tsar ; mais la fille n’aura pas la force de se lever et de venir devant Ta Grâce. – Ce n’est rien, vieille ; j’irai moi-même la voir. » Et, le croiras-tu ? le maudit est allé derrière la cloison. Il tira le rideau, la regarda de ses yeux d’épervier, et rien de plus ; Dieu nous vint en aide. Croiras-tu que nous étions déjà préparés, moi et le père, à une mort de martyrs ? Par bonheur, la petite colombe ne l’a pas reconnu. Ô Seigneur Dieu ! quelles fêtes nous arrivent ! Pauvre Ivan Kouzmitch, qui l’aurait cru ? Et Vassilissa Iégorovna, et Ivan Ignatiitch ! Pourquoi celui-là ? Et vous, comment vous a-t-on épargné ? Et que direz-vous de Chvabrine, d’Alexéi Ivanitch ? Il s’est coupé les cheveux en rond, et le voilà qui bamboche avec eux. Il est adroit, on doit en convenir. Et quand j’ai parlé de ma nièce malade, croiras-tu qu’il m’a jeté un regard comme s’il eût voulu me percer de son couteau ? Cependant il ne nous a pas trahis. Grâces lui soient rendues, au moins pour cela ! »

En ce moment retentirent à la fois les cris avinés des convives et la voix du père Garasim. Les convives demandaient du vin, et le pope appelait sa femme.

« Retournez à la maison, Piôtr Andréitch, me dit-elle tout en émoi. J’ai autre chose à faire qu’à jaser avec vous. Il vous arrivera malheur si vous leur tombez maintenant sous la main. Adieu, Piôtr Andréitch ; ce qui sera sera ; peut-être que Dieu daignera ne pas nous abandonner. »

La femme du pope rentra chez elle ; un peu tranquillisé, je