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obstiné ; qu’est-ce que cela te coûte ? Crache et baise la main du bri… Baise-lui la main. »

Je ne bougeai pas. Pougatcheff retira sa main et dit en souriant : « Sa Seigneurie est, à ce qu’il paraît, toute stupide de joie ; relevez-le ». On me releva, et je restai en liberté. Je regardai alors la continuation de l’infâme comédie.

Les habitants commencèrent à prêter le serment. Ils approchaient l’un après l’autre, baisaient la croix et saluaient l’usurpateur. Puis vint le tour des soldats de la garnison : le tailleur de la compagnie, armé de ses grands ciseaux émoussés, leur coupait les queues. Ils secouaient la tête et approchaient les lèvres de la main de Pougatcheff ; celui-ci leur déclara qu’ils étaient pardonnés et reçus dans ses troupes. Tout cela dura près de trois heures. Enfin Pougatcheff se leva de son fauteuil et descendit le perron, suivi par les chefs. On lui amena un cheval blanc richement harnaché. Deux Cosaques le prirent par les bras et l’aidèrent à se mettre en selle. Il annonça au père Garasim qu’il dînerait chez lui. En ce moment retentit un cri de femme. Quelques brigands traînaient sur le perron Vassilissa Iégorovna, échevelée et demi-nue. L’un d’eux s’était déjà vêtu de son mantelet ; les autres emportaient les matelas, les coffres, le linge, les services à thé et toutes sortes d’objets.

« Ô mes pères, criait la pauvre vieille, laissez-moi, de grâce ; mes pères, mes pères, menez-moi à Ivan Kouzmitch. »

Soudain elle aperçut le gibet et reconnut son mari.

« Scélérats, s’écria-t-elle hors d’elle-même, qu’en avez-vous fait ? Ô ma lumière, Ivan Kouzmitch, hardi cœur de soldat ; ni les baïonnettes prussiennes ne t’ont touché, ni les balles turques ; et tu as péri devant un vil condamné fuyard.