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en eux quelques-uns de nos traîtres. L’un d’eux élevait une feuille de papier au-dessus de son bonnet ; un autre portait au bout de sa pique la tête de Ioulaï, qu’il nous lança par-dessus la palissade. La tête du pauvre Kaimouk roula aux pieds du commandant.

Les traîtres nous criaient :

« Ne tirez pas : sortez pour recevoir le tsar ; le tsar est ici.

– Enfants, feu ! » s’écria le capitaine pour toute réponse.

Les soldats firent une décharge. Le Cosaque qui tenait la lettre vacilla et tomba de cheval ; les autres s’enfuirent à toute bride. Je jetai un coup d’œil sur Marie Ivanovna. Glacée de terreur à la vue de la tête de Ioulaï, étourdie du bruit de la décharge, elle semblait inanimée. Le commandant appela le caporal, et lui ordonna d’aller prendre la feuille des mains du Cosaque abattu. Le caporal sortit dans la campagne, et revint amenant par la bride le cheval du mort. Il remit la lettre au commandant. Ivan Kouzmitch la lut à voix basse et la déchira en morceaux. Cependant on voyait les révoltés se préparer à une attaque. Bientôt les balles sifflèrent à nos oreilles, et quelques flèches vinrent s’enfoncer autour de nous dans la terre et dans les pieux de la palissade.

« Vassilissa Iégorovna, dit le commandant, les femmes n’ont rien à faire ici. Emmène Macha ; tu vois bien que cette fille est plus morte que vive. »

Vassilissa Iégorovna, que les balles avaient assouplie, jeta un regard sur la steppe, où l’on voyait de grands mouvements parmi la foule, et dit à son mari : « Ivan Kouzmitch, Dieu donne la vie et la mort ; bénis Macha ; Macha, approche de ton père. » Pâle et tremblante, Marie s’approcha d’Ivan Kouzmitch, se mit