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vie ; il ne convient pas que Macha reste ici. Envoyons-la à Orenbourg chez sa marraine. Là il y a assez de soldats et de canons, et les murailles sont en pierre. Et même à toi j’aurais conseillé de t’en aller aussi là-bas ; car, bien que tu sois vieille, pense à ce qui t’arrivera si la forteresse est prise d’assaut.

– C’est bien, c’est bien, dit la commandante, nous renverrons Macha ; mais ne t’avise pas de me prier de partir, je n’en ferais rien. Il ne me convient pas non plus, dans mes vieilles années, de me séparer de toi, et d’aller chercher un tombeau solitaire en pays étranger. Nous avons vécu ensemble, nous mourrons ensemble.

– Et tu as raison, dit le commandant. Voyons, il n’y a pas de temps à perdre. Va équiper Macha pour la route ; demain nous la ferons partir à la pointe du jour, et nous lui donnerons même un convoi, quoique, à vrai dire, nous n’ayons pas ici de gens superflus. Mais où donc est-elle ?

– Chez Akoulina Pamphilovna, répondit la commandante ; elle s’est trouvée mal en apprenant la prise de Nijnéosern ! je crains qu’elle ne tombe malade. Ô Dieu Seigneur ! jusqu’où avons-nous vécu ? »

Vassilissa Iégorovna alla faire les apprêts du départ de sa fille. L’entretien chez le commandant continua encore ; mais je n’y pris plus aucune part. Marie Ivanovna reparut pour le souper, pâle et les yeux rougis. Nous soupâmes en silence, et nous nous levâmes de table plus tôt que d’ordinaire. Chacun de nous regagna son logis après avoir dit adieu à toute la famille. J’avais oublié mon épée et revins la prendre ; je trouvais Marie sous la porte ; elle me la présenta.

« Adieu, Piôtr Andréitch, me dit-elle en pleurant ; on m’envoie à Orenbourg. Soyez bien portant et heureux. Peut-être que Dieu permettra que nous nous revoyions ; si non… »