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je la trouvais mauvaise, Piôtr Andréitch s’est fâché. Mais ensuite il a réfléchi que chacun est libre de son opinion et tout est dit. »

L’insolence de Chvabrine me mit en fureur ; mais nul autre que moi ne comprit ses grossières allusions. Personne au moins ne les releva. Des poésies, la conversation passa aux poètes en général, et le commandant fit l’observation qu’ils étaient tous des débauchés et des ivrognes finis ; il me conseilla amicalement de renoncer à la poésie, comme chose contraire au service et ne menant à rien de bon.

La présence de Chvabrine m’était insupportable. Je me hâtai de dire adieu au commandant et à sa famille. En rentrant à la maison, j’examinai mon épée, j’en essayai la pointe, et me couchai après avoir donné l’ordre à Savéliitch de m’éveiller le lendemain à six heures.

Le lendemain, à l’heure indiquée, je me trouvais derrière les meules de foin, attendant mon adversaire. Il ne tarda pas à paraître. « On peut nous surprendre, me dit-il ; il faut se hâter. » Nous mîmes bas nos uniformes, et, restés en gilet, nous tirâmes nos épées du fourreau. En ce moment, Ivan Ignatiitch, suivi de cinq invalides, sortit de derrière un tas de foin. Il nous intima l’ordre de nous rendre chez le commandant. Nous obéîmes de mauvaise humeur. Les soldats nous entourèrent, et nous suivîmes Ivan Ignatiitch, qui nous conduisait en triomphe, marchant au pas militaire avec une majestueuse gravité.

Nous entrâmes dans la maison du commandant. Ivan Ignatiitch ouvrit les portes à deux battants, et s’écria avec emphase : « Ils sont pris ! ».

Vassilissa Iégorovna accourut à notre rencontre :

« Qu’est-ce que cela veut dire ? comploter un assassinat dans notre forteresse ! Ivan Kouzmitch, mets-les sur-le-champ aux arrêts… Piôtr Andréitch, Alexéi Ivanitch, donnez